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histoire de saint augustin.

cœur en le détachant des choses fugitives, donnent du sérieux et de la force à la raison humaine, reculent l’horizon de la pensée et élargissent les ailes du génie.




CHAPITRE TRENTIÈME.




Réponse aux cinq questions posées par Honoré de Carthage. — Humilité de saint Augustin. — Voyage de saint Augustin à Constantine. — Peinture de cette ville.

Un citoyen de Carthage, qui n’était pas encore chrétien et qui depuis fut élevé à la dignité du sacerdoce, Honoré, ami d’Augustin, lui envoya de Carthage cinq questions avec prière d’y répondre par écrit. Honoré demandait le sens de ces paroles de Jésus-Christ sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » et le sens de ces paroles de l’Apôtre : « Je prie Dieu qu’étant enracinés et fondés dans la charité, vous puissiez comprendre avec tous les saints quelle est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur. » Il demandait en outre ce que c’est que les vierges folles et les vierges sages de l’Évangile ; ce que c’est que les ténèbres extérieures ; et enfin comment il faut entendre ces mots de saint Jean « Le verbe a été fait chair. » L’évêque d’Hippone s’occupait alors[1] de l’hérésie ennemie de la grâce de Jésus-Christ : il résolut d’ajouter à ces questions une sixième question, et de traiter de la grâce de la nouvelle alliance. Il écrivit à Honoré une lettre[2] qui forme un livre et dans lequel nous trouvons la solution des cinq questions posées par le catéchumène de Carthage. Le grand évêque n’a point pris ces questions une à une et séparément, mais il les a fondues dans un même discours, de manière à les rapporter toutes à une fin principale, et à les faire concourir à une même vérité. Recueillons l’esprit de cette lettre, qui creuse profondément le dogme chrétien. Nous écarterons ce que nous avons déjà reproduit ailleurs.

Il y a deux sortes de vies : l’une qui est toute matérielle, et c’est dans celle-là qu’est jeté l’enfant que sa mère vient de mettre au monde ; l’autre, dont les plaisirs retouchent que l’esprit et dont les joies sont éternelles. À l’âge où la raison commence à sortir du sommeil de l’enfance, la volonté, aidée de la grâce, peut choisir cette vie spirituelle. L’âme de l’homme est comme dans un certain milieu qui la place, au-dessus des natures corporelles et au-dessous du créateur commun des corps et des intelligences. On peut faire un bon usage de la félicité même temporelle, lorsqu’on la rapporte au service du Créateur. Toutes les créatures de Dieu étant bonnes, il est permis d’en user en gardant l’ordre naturel, c’est-à-dire en préférant toujours les choses d’en-haut aux choses d’en-bas : la corruption est une négligence des biens éternels. Dieu a béni en quelque sorte l’usage des biens temporels, quand, dans l’ancienne loi, il a donné aux patriarches la félicité de la terre comme une prophétique figure de la nouvelle alliance, et aussi comme une image de la félicité éternelle.

Dans la plénitude des temps où devait soi manifester la grâce, longtemps cachée sous les ; voiles de l’ancienne alliance, Dieu a envoyé son Fils formé d’une femme[3]. De peur qu’os ne vît qu’un homme et non pas Dieu dans le Christ fait homme, Jean, qui n’était pas la lumière, fut envoyé pour rendre témoignage à la lumière ; et ce témoin fut tel, qu’on a pu dire de lui : « Entre tous ceux qui sont nés de la femme, il n’y en a pas eu de plus grand. C’est ainsi que Jean prophétisait la divinité du Messie. Jean, comme les apôtres, n’était qu’une lampe, et les lampes ont besoin qu’on les allume, et peuvent s’éteindre. Mais le Verbe était cette lumière primitive qui ne tire pas ses splendeurs d’une autre lumière, et qui éclaire tout homme venant au monde. Ce monde, que le Verbe a fait et qui ne l’a pas connu, n’est

  1. Revue, livre II, chap. 26.
  2. Lettre 140.
  3. Galates, IV, 4.