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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/336

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LES RÉTRACTATIONS. — LIVRE PREMIER.

core commencé de réfuter les Manichéens, que je n’ai pas abordé leurs niaiseries et que je ne vous ai rien découvert des grandeurs de l’Église catholique. J’ai voulu seulement détruire en vous, si je le pouvais, la fausse opinion qui nous avait été suggérée avec malice et maladresse, à propos des vrais chrétiens, et vous engager à vomis livrer aux grandes et divines études. Que ce volume reste donc ce qu’il est ; ayant calmé votre esprit, je serai peut-être mieux disposé et plus habile sur le reste[1].» Je n’ai pas entendu dire par là que je n’eusse encore rien écrit contre les Manichéens, ou que je n’eusse en rien traité de la doctrine catholique, puisque tant de volumes antérieurs prouvent que je n’ai gardé le silence ni sur l’un ni sur l’autre de ces sujets ; mais c’est que dans ce livre, adressé à Honorat, je n’avais pas encore commencé à réfuter le manichéisme, ni abordé ses niaiseries, ni rien dévoilé des grandeurs de la Religion catholique ; j’espérais en effet, après ce commencement, pouvoir lui écrire ce que je n’avais pas écrit ici.

Ce livre commence ainsi : « S’il semblait que ce fût pour moi, Honorat, une seule et même chose. »


CHAPITRE XV.

des deux âmes, contre les manichéens. — un livre.


1. Après cet ouvrage, et étant encore prêtre, j’ai écrit contre les Manichéens un traite sur ces deux âmes dont ils prétendent que l’une est une partie émanée de Dieu, tandis que l’autre est de la race des ténèbres que Dieu n’a pas constituée, et qui lui est coéternelle. Ils ont la folie de dire que le même homme a ces deux âmes, l’une bonne, l’autre mauvaise ; la mauvaise, propre à la chair, qu’ils estiment elle-même être de la race des ténèbres ; la bonne, issue d’une partie émanée de Dieu, partie qui aurait lutté avec la race des ténèbres et qui aurait produit le mélange de l’une et de l’autre. Ils attribuent tous les biens de l’homme à cette âme bonne et tous ses maux à la mauvaise. Or, quand, dans ce livre, j’ai dit : « Il n’y a pas de vie quelconque qui, par cela même qu’elle est la vie et en tant qu’elle l’est, n’appartienne au principe souverain et à la source de la vie[2] ; » je l’ai dit dans ce sens que la créature appartient au Créateur et non pas qu’elle est une partie de lui-même.

2. De même ce que j’ai dit que « nulle part il n’y a de péché sinon dans la volonté, » les Pélagiens peuvent s’en prévaloir, au sujet des enfants qui, selon eux, n’auraient pas de péché à remettre par le baptême, parce qu’ils n’ont pas l’usage de leur libre arbitre. Mais est-ce que le péché qu’ils ont contracté originellement, c’est-à-dire en étant impliqués dans la faute et par conséquent soumis à la peine de cette faute, a pu être ailleurs que dans la volonté, volonté qui l’a commis au moment où a eu lieu la transgression du précepte divin ? On pourrait aussi trouver fausse cette maxime : « Nulle part il n’y a de péché que dans la volonté, » en la rapprochant des paroles de l’Apôtre : « Si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui opère, mais le péché qui habite en moi. » En effet ce péché est si peu dans la volonté que l’Apôtre dit : « Ce que je ne veux pas, je le fais. » Comment donc alors dire que le péché ne saurait être ailleurs que dans la volonté ? Le voici : ce péché dont parle l’Apôtre est nommé péché parce qu’il est la suite du péché et la peine du péché. En effet, il s’agit ici de la concupiscence de la chair, comme il le montre par la suite lorsqu’il dit : « Je sais que le bien n’habite pas en moi, c’est-à-dire dans ma chair ; car le vouloir réside en moi, mais accomplir le bien, je ne l’y trouve pas[3]. » La perfection du bien, en effet, c’est que la concupiscence elle-même ne soit pas dans l’homme ; je parle de cette concupiscence à laquelle, quand on vit bien, la volonté ne consent pas. Mais l’homme n’accomplit pas le bien parce qu’il y a en lui la concupiscence à laquelle répugne la volonté. Le baptême enlève la culpabilité de cette concupiscence, mais l’infirmité demeure ; et tout fidèle qui avance bien, lutte contre cette infirmité avec le plus grand soin jusqu’à ce qu’elle soit guérie. Quant au péché qui n’est jamais ailleurs que dans la volonté, c’est particulièrement celui qu’a suivi une juste condamnation. C’est celui-là qui est entré dans le monde par un seul homme. Toutefois le péché par lequel on consent à la concupiscence du péché ne se commet jamais sans la volonté. Aussi ai-je dit ailleurs : « On ne pèche que par la volonté[4]. »

3. En un autre endroit, j’ai défini la volonté elle-même ainsi : « La volonté est un mouve-

  1. C. XVII, n. 36.
  2. C. I, n. 1.
  3. Rom. VII, 16-18.
  4. C, IX, n. 12.