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OUVRAGES COMPOSÉS AVANT L’ÉPISCOPAT.

ment de l’âme, exempt de toute coaction, et qui se porte à acquérir une chose ou à ne la pas perdre[1]. » Cette définition a été adoptée afin de discerner qui veut et qui ne veut pas ; et ainsi la pensée se reporte à ceux qui, dans le Paradis, furent les premiers la source du mal pour le genre humain, et qui ont péché, personne ne les y forçant, mais de leur libre volonté, agissant contre le précepte et le sachant, le tentateur les y engageant mais ne les forçant point. Celui, en effet, qui pèche sans le savoir, on peut dire avec raison qu’il pèche sans le vouloir, quoiqu’il ait fait volontairement ce qu’il a fait par ignorance ; aussi, même chez lui, il n’y a pas eu de péché sans volonté. Cette volonté, ainsi qu’elle a été définie, a été en lui un mouvement de l’âme, exempt de toute coaction, et se portant à acquérir une chose ou à ne pas la perdre. Ce qu’il n’aurait pas fait s’il n’avait pas voulu, il n’était pas forcé à le faire. Il l’a donc fait parce qu’il a voulu ; mais il n’a pas péché parce qu’il a voulu, puisqu’il ne savait pas que ce qu’il a fait fût un péché. Aussi un tel péché n’a pas pu être sans volonté ; mais il n’y a eu que volonté de fait et non volonté de péché, quoique le fait fût péché ; car on a fait ce qui ne devait pas être fait. Quiconque pèche sciemment, s’il peut résister sans péché à celui qui le force à pécher, et s’il ne le fait pas, pèche volontairement ; car qui peut résister, n’est pas forcé de céder. Mais celui qui ne peut pas résister d’une volonté ferme à la coaction de la cupidité, agit ainsi contre les préceptes de la justice ; et c’est là un péché qui est aussi la peine du péché. C’est pourquoi il est de la plus profonde vérité qu’il n’y a pas de péché sans la volonté.

4. De même la définition que j’ai donnée du péché : « Le péché est une volonté de retenir ou d’acquérir ce que défend la justice et ce dont on est libre de s’abstenir[2], » est vraie ; parce qu’elle ne s’applique qu’au péché et non à ce qui est aussi la peine du péché. En effet, quand le péché est de telle nature qu’il est aussi la peine du péché, que peut la volonté sous la pression dominante de la cupidité, sinon, lorsqu’elle est pieuse, de prier et d’implorer secours ? Elle n’est libre qu’en tant qu’elle a été délivrée ; et c’est en cela seulement qu’elle s’appelle volonté. Autrement il la faudrait appeler plutôt cupidité que volonté ; et cette cupidité n’est pas, comme le disent faussement les Manichéens, une addition d’une nature étrangère, mais un vice de notre nature qui ne se peut guérir que par la grâce du Sauveur. Que si l’on veut dire que la cupidité elle-même n’est rien autre que la volonté, mais pervertie et asservie au péché, il n’y a pas à contredire ; et pourvu que la chose soit constante, il n’y a point à disputer sur les mots. Et ainsi se trouve encore démontré que, sans volonté, il n’y a pas de péché ni originel ni actuel.

5. De nouveau j’ai dit : « J’avais commencé à chercher si cette mauvaise espèce d’âmes avait eu quelque volonté avant d’être mêlée à la bonne espèce. Si elle n’en avait pas, elle était innocente et sans péché ; et en conséquence elle n’était pas mauvaise[3]. » Pourquoi donc alors, me répond-on, parlez-vous de péché chez les enfants dont vous ne tenez pas la volonté pour coupable ? Je réplique : Les enfants sont coupables non par leur volonté propre, mais par leur origine. Tout homme vivant sur cette terre, de qui tire-t-il son origine, sinon d’Adam ? Or, Adam avait certes bien sa volonté ; et quand il eut péché par cette volonté, le péché est entré par lui dans le monde.

6. De même, pour ces paroles : «Les âmes ne peuvent nullement être mauvaises par nature ; » si on me demande comment je les accorde avec celles de l’Apôtre : « Nous étions par nature enfants de colère comme les autres[4], » je répondrai qu’en me servant du mot nature, j’ai voulu le prendre dans son acception propre, à savoir la nature dans laquelle nous avons été créés et qui est sans défaut.

L’autre acception se prend de la nature entendue en vue de notre origine, origine souillée, ce qui est contre la nature. Ainsi encore, à propos de cette phrase : « Tenir quelqu’un pour coupable de péché parce qu’il n’a pas fait ce qu’il n’a pu faire, c’est le comble de l’iniquité et de la folie ; » eh bien ! me dit-on, pourquoi tenez-vous les enfants pour coupables ? Parce qu’ils le sont d’origine en celui qui n’a pas fait ce qu’il pouvait faire, à savoir, garder le précepte divin. D’ailleurs, ce que j’ai dit : « Si tout ce que font ces âmes, elles le font naturellement et non volontairement, c’est-à-dire si elles manquent du libre mouvement pour faire ou ne pas faire ; ou si elles n’ont pas la puissance de s’abstenir de leurs actes, elles ne peuvent pas être arguées de péché ; » cela, dis-je, n’est en rien affecté

  1. C. IX, n. 14
  2. C. XI, n. 15
  3. C. XVI, n. 17.
  4. Éphés. II, 3.