Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/338

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
326
LES RÉTRACTATIONS. — LIVRE PREMIER.

par la question des enfants ; car ils sont tenus pour coupables à cause de l’origine qu’ils tirent de celui qui a péché volontairement, puisqu’il avait le libre mouvement pour faire ou ne pas faire et possédait la plus grande puissance pour s’abstenir du mal. Ce que les Manichéens ne disent point de cette race de ténèbres qu’ils ont fabuleusement inventée et à laquelle ils attribuent une nature qui a été toujours mauvaise et jamais bonne.

7. On peut demander pourquoi j’ai dit : «Quand même il y aurait des âmes, ce qui est incertain, livrées non par le péché mais par nature, aux fonctions corporelles, et quand même elles nous toucheraient, quoiqu’inférieures à nous, par une sorte de voisinage intime, il ne faudrait pas cependant les tenir pour mauvaises, parce que nous, en les suivant et en aimant les choses corporelles, nous serions mauvais ; » on pourrait, dis-je, demander pourquoi j’ai parlé ainsi de ces âmes dont auparavant j’avais dit : «Concédât-on aux Manichéens que nous sommes entraînés aux choses honteuses par une espèce inférieure d’âmes, ils n’en peuvent pas conclure que ces âmes soient mauvaises par nature, ni que les autres soient le souverain bien[1]. » J’ai conduit l’examen et l’étude de ce point jusqu’à ce passage : « Quand même il y aurait des âmes, ce qui est incertain, etc. » On peut donc demander pourquoi j’ai dit : « Ce qui est incertain, » lorsque je n’aurais pas dû mettre en doute qu’il n’y a pas d’âmes pareilles. Mais voici pourquoi je une suis exprimé ainsi : c’est que j’ai rencontré des personnes qui prétendaient que le démon et ses anges sont bons dans leur genre et dans la nature où Dieu les a créés, tels qu’ils sont et par un dessein particulier ; que le mal, c’est de nous laisser charmer et séduire par eux ; le bien et la gloire, de nous en défier et de les vaincre. Et ceux qui parlent de la sorte se figurent prouver leur assertion par des témoignages tirés de l’Écriture : ainsi, dans le livre de Job[2], quand le démon est défini : « C’est le chef-d’œuvre du Seigneur, qui l’a fait pour s’en jouer par ses anges, » ou ce verset du psaume : « C’est le dragon que vous avez créé pour vous jouer de lui[3]. » Cette question, qui ne regarde pas les Manichéens, lesquels n’ont pas d’opinion semblable, mais qui regarde ceux qui partagent cette manière de voir, je n’ai pas voulu la traiter en ce moment et la résoudre, car elle aurait augmenté mon livre plus que je ne le désirais. Je voyais d’ailleurs que même en concédant ce point, les Manichéens pouvaient et devaient être convaincus d’introduire une erreur insensée, à savoir la nature du mal coéternelle au bien éternel. Aussi ai-je dit : « Ce qui est encore incertain ; » non pas que j’en doutasse moi-même, mais parce que la question n’avait pas encore été résolue entre moi et les adversaires que j’avais en vile. Je l’ai résolue du reste, dans mes livres écrits longtemps après sur la Genèse prise à la lettre, d’après les saintes Écritures et avec autant de clarté que j’ai pu.

8. Ailleurs je dis : « Nous péchons en aimant les choses corporelles, parce que la justice nous ordonne d’aimer les choses spirituelles, que la nature nous en donne la possibilité et qu’alors, dans notre espèce, nous sommes très-bons et très-heureux[4]. » On pourrait me demander pourquoi j’ai dit : « La nature, » et non pas « la grâce » nous en donne la possibilité. Mais le débat sur la nature était alors contre les Manichéens. Et ce que fait la grâce, c’est de guérir la nature afin qu’elle puisse, étant guérie, ce qu’elle ne peut pas étant viciée, et qu’elle le puisse par Celui qui est venu chercher et sauver ce qui périssait. Cette grâce, même alors, je l’ai implorée pour unes plus tendres amis qui étaient encore livrés à cette mortelle erreur et j’ai dit : «Dieu grand, Dieu tout-puissant, Dieu souverainement bon, vous qu’il est permis de croire et de comprendre inviolable et immuable, Unité et Trinité tout ensemble, vous qu’adore l’Église catholique, je vous en supplie et vous en conjure, moi qui ai éprouvé votre miséricorde, ne permettez pas que des hommes avec qui j’ai, depuis mon enfance, vécu toujours dans la plus affectueuse concorde, soient en désaccord avec moi sur le culte qui vous est dû[5] ! » En priant de la sorte, je gardais la foi non-seulement que Dieu seul par sa grâce aide les convertis, afin qu’ils progressent et se perfectionnent, sur quoi l’on peut dire aussi que cette grâce est accordée au mérite de leur conversion ; mais encore que c’est à la grâce de Dieu qu’il appartient d’opérer la conversion même. Car j’ai prié pour ceux qui étaient bien éloignés de Dieu, et j’ai demandé qu’ils revinssent à lui.

  1. C. XIII, n. 20.
  2. Job. XL, 14.
  3. Ps. CIII, 26.
  4. C. XIII, n. 20
  5. C. XV, n 24.