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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/534

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LETTRES DE SAINT AUGUSTIN. — PREMIÈRE SÉRIE.

quelque chose de caché. Mais maintenant il faut dormir. D’ailleurs j’ai paru heureux à Nébride, non point pour avoir cherché, mais pour avoir trouvé quelque chose ; et cela qu’est-ce ? Serait-ce le raisonnement suivant, que j’ai coutume de caresser comme si c’était mon raisonnement unique et où je me délecte trop ?

4. De quoi sommes-nous composés ? d’une âme et d’un corps. Quel est le meilleur des deux ? c’est l’âme assurément. Que loue-t-on dans le corps ? je ne vois rien autre que la beauté. Qu’est-ce que c’est que la beauté du corps ? l’harmonie des parties avec une certaine suavité de couleur. Et cette beauté ne vaut-elle pas mieux où elle est vraie que là où elle est fausse ? Qui doute qu’elle vaudra mieux là où elle sera vraie ? Où sera-t-elle vraie ? dans l’âme sans doute. L’âme doit donc être plus aimée que le corps. Et dans quelle partie de l’âme réside-t-elle, cette vérité ? dans l’esprit et l’intelligence. Qu’y a-t-il de contraire à l’esprit ? ce sont les sens. Il faut donc résister aux sens de toutes les forces de l’âme ? C’est évident. Que faire si les choses sensibles nous plaisent trop ? il faut faire qu’elles ne nous plaisent plus. Et comment donc ? par l’habitude de s’en priver et de rechercher ce qui est meilleur. Et si l’âme meurt la vérité mourra donc aussi, ou bien la vérité n’est pas dans l’intelligence, ou l’intelligence n’est pas dans l’âme, ou ce qui renferme quelque chose d’immortel peut mourir ? Mes Soliloques disent et prouvent assez que rien de pareil ne saurait arriver ; mais je ne sais quelle habitude de nos maux nous épouvante encore et nous fait chanceler. Enfin, quand même l’âme mourrait, ce qui ne me paraît possible d’aucune manière, les studieux loisirs de ma solitude m’ont assez démontré que la vie heureuse ne se trouverait point dans la joie des choses sensibles. Voilà peut-être ce qui me fait paraître aux yeux de mon cher Nébride sinon heureux, au moins comme heureux : que je le paraisse à moi-même ; qu’ai-je à perdre ? et pourquoi ne croirai-je pas à la bonne opinion qu’il a de moi ? je me dis ces choses, puis je fis ma prière accoutumée, et je m’endormis.

5. Il m’a été doux de vous écrire ceci. Vous me faites plaisir lorsque vous me remerciez de ne vous rien cacher de ce qui me vient à la bouche. Je me réjouis de vous charmer de la sorte. À qui adresserai-je plus volontiers mesfolies qu’à celui à qui je ne puis déplaire ? S’il est au pouvoir de la fortune qu’un homme en aime un autre, voyez combien je suis heureux, moi qui ai reçu du hasard une part si douce et si belle, et je désire, je l’avoue, que de tels biens se multiplient pour mes jours. Mais les vrais sages, qui seuls doivent être appelés heureux, ont voulu que les biens de la fortune ne fussent ni redoutés ni désirés (cupi). Doit-on dire cupi ou cupiri ? et cela arrive bien ; car je veux que vous me fassiez connaître cette désinence ; je deviens plus incertain dès que je rapproche des verbes semblables. Cupio, fugio, sapio, jacio, capio, ont les mêmes terminaisons : mais doit-on dire à l’infinitif fugiri ou fugi, sapiri ou sapi ? je l’ignore. Je pourrais remarquer que l’on écrit jaci et capi, si je ne craignais que l’on me prît et jetât (caperet, jaceret) à plaisir comme un jouet, en me faisant sentir qu’autre chose est d’être jeté et pris (captum, jactum), et autre chose, d’avoir fui, d’être désiré et goûté (fugitum, cupitum, sapitum). Et encore, dans ces trois derniers mots, j’ignore également si la pénultième est longue et sourde, ou bien grave et brève. Vous voilà provoqué à m’écrire une lettre plus étendue ; je demande de pouvoir vous lire un peu plus longuement ; car je ne puis vous exprimer tout le ravissement que j’y trouve.

LETTRE IV.

(Fin de l’année 387.)
Saint Augustin parle à Nébride de ses progrès de solitaire dans la contemplation des choses éternelles.
AUGUSTIN À NÉBRIDE

1. Jugez de mon étonnement, lorsque, contre toute espérance, cherchant à quelles lettres de vous j’avais encore à répondre, j’ai reconnu qu’il n’en restait plus qu’une seule : c’est celle où vous me demandez quels progrès nous avons faits, au sein de ce grand loisir que vous vous représentez en vous-même ou que vous aimeriez à partager avec nous, dans la compréhension de ce qui sépare la nature sensible de la nature intelligible. Vous n’ignorez pas que si on s’enfonce de plus en plus dans les fausses opinions à mesure qu’on se les rend plus familières et qu’on s’y roule davantage, il en arrive autant et plus aisément à l’esprit en ce qui concerne la vérité. Toutefois ce progrès. est insensible comme celui de l’âge ; la différence