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LETTRES DE SAINT AUGUSTIN. — PREMIÈRE SÉRIE.

vous écrire, nous le devons à la charité du Christ qui nous presse et qui lie dans l’unité de la foi ceux-là même qu’une longue distance sépare. Cette charité vous a mis dans mes entrailles au moyen de vos ouvrages si riches des trésors de l’éloquence, doux comme un miel céleste, et qui sont à la fois pour mon âme un remède et une nourriture : je les tiens en cinq livres que nous avons reçus en présent de notre béni et vénérable évêque Alype, non-seulement pour notre instruction, mais pour, l’avantage de plusieurs cités de l’Église. Je lis donc à présent ces livres ; je m’y délecte. J’y prends ma nourriture, non point une nourriture périssable, mais celle d’où découle la vie éternelle par notre foi qui nous incorpore en Jésus-Christ, Notre-Seigneur. Notre foi, qui néglige les choses visibles et n’aspire qu’aux invisibles, attachée aux vérités révélées par le Dieu tout-puissant, se fortifie par les écrits et les exemples des fidèles. O véritable sel de la terre, qui préservez nos cœurs et les empêchez de s’affadir dans les illusions du siècle ! O lampe dignement placée sur le chandelier de l’Église, dont la lumière, nourrie de l’huile d’allégresse de la mystérieuse lampe aux sept dons, se répand au loin sur les villes catholiques, et chasse les épaisses ténèbres de l’hérésie, et par les vives clartés d’un discours lumineux, sépare la splendeur de la vérité des nuages de l’erreur.

2. Vous voyez, mon frère, vous si admirable et si digne d’être recherché en Jésus-Christ, combien il m’est doux de vous connaître, avec quelle extase je vous admire, avec quel grand amour je vous embrasse, moi qui jouis chaque jour de l’entretien de vos écrits, et qui respire le souffle de votre bouche ! Car j’appellerai avec raison votre bouche un canal d’eau vive et une veine de la source du ciel, parce que Jésus-Christ est devenu en vous une source qui jaillit dans la vie éternelle[1] ; c’est en vous que mon âme en a soif, et ma terre a désiré s’enivrer des eaux fécondes de votre fleuve. Me voilà armé contre les manichéens par votre Pentateuque ; si vous avez préparé quelques armes contre d’autres ennemis de la foi catholique (car notre ennemi est fertile en moyens de nuire, et il faut lui opposer autant de traits qu’il dresse d’embûches), je vous prie de les tirer pour moi de votre arsenal, et de ne pas refuser de me donner ces armes de justice. Je suis encore un pécheur qui gémit sous un grand fardeau. Je date de loin dans les rangs des pécheurs, mais il n’est pas de soldat plus nouveau que moi dans la milice du roi éternel. Misérable que je suis, j’ai admiré jusqu’ici la sagesse du monde, et pendant que je m’attachais à cette sagesse réprouvée et que je passais mes jours en d’inutiles études, je n’étais aux yeux de Dieu qu’un insensé et un muet. Après avoir vieilli au milieu de mes ennemis et m’être égaré dans mes pensées, j’ai levé les yeux vers les montagnes du côté des préceptes de la loi et des dons de la grâce : c’est de là que m’est venu le secours du Seigneur qui, ne me traitant pas selon mes iniquités, a dissipé mon aveuglement, brisé mes chaînes et humilié mes fausses grandeurs pour relever ma pieuse humilité.

3. C’est pourquoi je suis d’un pas encore inégal les grandes traces des justes, et je voudrais, par vos prières, atteindre au but que Dieu m’a marqué lorsque sa miséricorde m’a pris par la main. Dirigez donc cet enfant qui se traîne sur la terre, et enseignez-lui à marcher sur vos traces. Je ne veux pas que vous regardiez en moi l’âge de la naissance corporelle, mais seulement la date de mon lever spirituel ; mon âge selon la chair est celui de l’homme[2] que les apôtres, par la puissance du Verbe, guérirent à la porte du temple appelée la Belle Porte[3] ; pour ce qui est de ma naissance dans la vie spirituelle, je suis au temps de cette enfance[4] qui, frappée par des coups dirigés contre le Christ, précéda, avec des flots d’un sang pur l’immolation de l’Agneau, et fut comme le présage de la passion du Seigneur. Nourrissez donc de vos discours l’enfant qui, dans son âge spirituel, en est encore au lait de la parole, de Dieu et soupire après les mamelles de la foi, de la sagesse et de la charité. A considérer les devoirs communs, vous êtes mon frère ; si on considère la maturité de votre esprit et de votre jugement, vous êtes mon père, quoique peut-être vous soyez plus jeune d’âge que moi ; mais une sagesse blanchie vous a élevé jeune encore à la maturité du mérite et à l’honneur qu’on rend aux vieillards. Réchauffez-moi et fortifiez-moi dans les saintes lettres et les études spirituelles ; j’y suis nouveau, comme je vous l’ai dit ; après de longs périls et beaucoup de naufrages, et encore sans expérience, je, sors à peine des flots du siècle ; recevez-moi dans votre sein comme dans un sûr asile, vous qui êtes sur la terre ferme, et faites que nous naviguions ensemble, si vous m’en croyez digne, vers le port du salut. Pendant que je m’efforce de me tirer des périls de cette vie et du profond abîme de mes péchés, soutenez-moi par vos prières comme avec une planche sur les vagues, afin que j’échappe nu à ce monde comme on échappe à un naufrage.

4. Aussi ai-je eu soin de me débarrasser de mes bagages et de me dépouiller des vêtements qui me chargeaient, pour que je pusse, par les ordres et le secours du Christ, dégagé de tous les liens de la chair et de tout souci du lendemain, m’échapper à la nage à travers la mer de la vie présente dont les flots orageux nous séparent de Dieu, et où l’on entend les péchés aboyer entre les deux rivages[5]. Je ne me vante pas d’avoir achevé ceci ; et quand même je pourrais m’en glorifier, ce serait dans le Seigneur, à qui il appartient d’achever ce qu’il nous inspire : mais jusques ici mon âme a souhaité ardemment que les jugements du Seigneur devinssent l’objet de ses vœux ; voyez si on est arrivé à suivre la volonté de Dieu lorsqu’on en est encore à souhaiter de le désirer. Cependant, je sens que j’aime la beauté de la maison sainte ; et

  1. Jean, IV, 14.
  2. Il avait un peu plus de quarante ans.
  3. Act. III, 7 ; IV, 22.
  4. Les Innocents massacrés par Hérode.
  5. Allusion au souvenir mythologique des chiens de Scylla.