Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/125

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ce qui m’avait fait quelque peine dans vos écrits : je désire que tous en usent avec moi comme j’en ai usé avec vous ; je désire qu’on m’épargne de fausses louanges quand on a trouvé à redire dans mes ouvrages, ou que, si on relève mes fautes devant les autres, on ne les taise pas devant moi : car c’est surtout de la sorte qu’on blesse l’amitié et qu’on en viole les droits. Je ne sais si on peut appeler de chrétiennes amitiés celles qui s’inspirent bien plus du proverbe vulgaire : « La complaisance engendre des amis, la vérité engendre la haine[1], » que de cette maxime du Sage : « Les blessures d’un ami sont plus fidèles que les doux baisers d’un ennemi[2]. »

32. Apprenons plutôt, autant que nous le pourrons, à nos amis sincèrement favorables à nos travaux, qu’on peut entre amis différer d’opinion sur un point de doctrine, sans que la charité en soit diminuée, sans que la vérité qui est due à l’amitié engendre la haine, soit que le contradicteur ait raison, soit qu’il dise autre chose que le vrai, mais avec une constante bonne foi, ne gardant jamais dans le cœur rien qui ne soit sur ses lèvres. Aussi que nos frères vos amis, ces vases du Christ, selon votre témoignage, croient bien que ce n’est pas ma faute si ma lettre à votre adresse est tombée en d’autres mains avant de parvenir jusqu’à vous, mais que j’en ai été vivement affligé. Il serait long et, je pense, fort inutile de vous raconter comment cela s’est fait ; il suffit si on me croit, il suffit qu’on sache qu’il n’y est entré aucun des desseins qu’on m’a prêtés ; je ne l’ai ni voulu ni ordonné, je n’y ai pas consenti, je n’aurais jamais pensé que cela pût arriver. Si vos amis ne croient pas ce que j’atteste ici devant Dieu, je n’ai plus rien à faire ; à Dieu ne plaise que je les accuse de souffler la malveillance à votre sainteté pour exciter entre vous et moi des inimitiés ! Que la miséricorde du Seigneur notre Dieu éloigne de nous ce malheur ! Mais vos amis, sans aucune intention mauvaise, ont pu aisément soupçonner un homme d’une faute humaine ; voilà ce que je dois croire d’eux, s’ils sont des vases du Christ, vases d’honneur et non pas d’ignominie, disposés de Dieu dans la grande maison pour l’œuvre du bien[3]. Si cette protestation vient à leur connaissance, et qu’ils persistent dans leurs soupçons, vous voyez vous-même qu’ils n’agiront pas bien.

33. Si je vous ai écrit que je n’avais envoyé contre vous aucun livre à Rome, c’est que je ne donnais pas le nom de livre à une simple lettre ; aussi j’ignore absolument de quelle autre chose on a pu vous parler ; je n’avais pas envoyé cette lettre à Rome, mais à vous ; je ne la regardais pas comme une lettre contre vous, car je savais que mon but unique était de vous avertir avec la sincérité de l’amitié de nous rectifier l’un l’autre par l’échange de nos idées. Sans parler maintenant de vos amis, je vous conjure, par la grâce de notre rédemption, de ne pas m’accuser de perfide flatterie si j’ai rappelé dans ma lettre les grands dons que la bonté de Dieu a répandus sur vous ; mais si je vous ai offensé en quelque chose, pardonnez-le-moi ; n’allez pas au-delà de ma pensée pour ce que je vous ai rappelé de je ne sais quel poète avec plus d’imprudence peut-être que de littérature ; je ne vous ai pas dit cela, comme alors même j’ai eu soin de vous en prévenir, pour que vous recouvrassiez les yeux de l’esprit, que certes vous n’avez jamais perdus, mais pour que vos yeux sains et toujours ouverts se tournassent plus attentivement vers la matière en discussion. Je n’ai songé ici qu’à la palinodie que nous devons chanter comme Stésichore, si nous avons écrit quelque chose qu’il convienne de faire disparaître dans un écrit suivant ; je n’ai jamais pensé à vous attribuer ni à craindre pour vous la cécité de ce poète, et je vous en prie de nouveau, reprenez-moi avec confiance, chaque fois que vous croirez qu’il en est besoin. Quoique, selon les titres d’honneur qui sont en usage dans l’Église, l’épiscopat soit plus grand que la prêtrise, cependant, en beaucoup de choses, Augustin est inférieur à Jérôme : et d’ailleurs nous ne devons ni repousser ni dédaigner les corrections de la part d’un inférieur quel qu’il puisse être.

34. Vous m’avez pleinement persuadé de l’utilité de votre version des Écritures faites sur l’hébreu : vous rétablissez ainsi ce qui a été omis ou corrompu par les Juifs. Mais je demande que vous daigniez m’apprendre par quels Juifs ces omissions ou ces mutilations ont été faites ; si c’est par des traducteurs juifs antérieurs à l’arrivée du Seigneur, et, dans ce cas, qui sont-ils ou quel est-il ? ou bien si c’est par des interprètes venus ensuite, qu’on pourrait soupçonner d’avoir supprimé ou changé quelque chose des exemplaires grecs, de peur que ces témoignages ne concluassent contre

  1. Tér., Andr., act. 1, sc. 1.
  2. Pr. XXVII, 6.
  3. II Tim. II, 20, 21.