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eux au profit de la foi chrétienne ; pourquoi les Juifs des temps antérieurs à Jésus-Christ auraient-ils fait cela ? je n’en sais vraiment rien.

Envoyez-nous ensuite, je vous en prie, votre version des Septante. J’ignorais que vous l’eussiez mise au jour ; je désire aussi lire le livre dont vous m’avez parlé en passant, sur la meilleure manière de traduire, et savoir comment, dans une version, la connaissance des langues peut se concilier avec les conjectures des commentateurs ; car quelles que soient la pureté et l’unité de leur foi, il est impossible qu’ils n’arrivent pas à des sentiments divers par l’obscurité de beaucoup de passages. Toutefois, je le répète, une telle variété n’empêche pas l’unité de la croyance, puisqu’un même commentateur peut entendre de différentes manières le même endroit obscur, tout en conservant la même foi.

35. Ce qui me fait souhaiter votre version des Septante, c’est que je voudrais me passer de cette foule de traducteurs latins dont la téméraire ignorance a osé les traduire ; je voudrais aussi montrer, une fois pour toutes, si je le pouvais, à ceux qui me croient jaloux de vos utiles travaux, que si je ne fais pas lire dans les églises votre traduction sur l’hébreu, c’est afin de ne paraître pas introduire quelque chose de nouveau contre l’autorité des Septante, et de ne pas troubler par un grand scandale le peuple du Christ, accoutumé de cœur et d’oreille à une version approuvée des apôtres eux-mêmes. Aussi, puisque, dans l’hébreu, au livre de Jonas[1], l’arbrisseau en question n’est ni un lierre ni une citrouille, mais je ne sais quoi qui se soutient sur son propre tronc, sans avoir besoin d’aucun appui, j’aimerais mieux qu’on lût le nom de citrouille dans toutes les versions latines ; car je crois que les Septante n’ont pas mis ce nom sans dessein ; ils voyaient sans doute qu’il désignait quelque chose de semblable à l’arbrisseau dont parle le prophète.

En voilà assez, et beaucoup trop peut-être, en réponse à ces trois lettres, dont deux m’ont été remises par Cyprien, et la troisième par Firmin. Répondez-moi ce que vous jugerez convenable pour mon instruction ou pour celle des autres. Désormais je mettrai le plus grand soin, avec l’aide de Dieu, à ce que mes lettres vous parviennent avant tout autre qui les répandrait au loin. Je ne voudrais pas, je vous l’assure, qu’il arrivât aux vôtres ce qui est arrivé aux miennes, ce dont vous avez raison de vous plaindre. Il ne faut pas cependant qu’il y ait entre nous seulement la charité, il faut qu’il y ait aussi la liberté de l’amitié, et que nous puissions nous dire l’un à l’autre ce qui nous aura émus dans nos ouvrages, mais toujours dans cet esprit de dilection fraternelle qui plaît à l’œil de Dieu. Si vous ne pensez pas que cela puisse se faire entre nous sans offenser l’amitié, ne l’essayons pas. Assurément la charité que je voudrais entretenir avec vous, est supérieure à ces offenses ; mais une charité moins parfaite vaudrait encore mieux que rien[2].

LETTRE LXXXIII.

(Année 404.)
Règlement de questions d’intérêt dans la vie religieuse.
AU BIENHEUREUX SEIGNEUR ET RESPECTUEUSEMENT CHER ET DÉSIRABLE FRÈRE ET COLLÈGUE DANS L’ÉPISCOPAT, ALYPE, ET AUX FRÈRES QUI SONT AVEC LUI, AUGUSTIN ET LES FRÈRES AVEC QUI IL HABITE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. La tristesse de l’Église de Thiave ne laissera aucun repos à mon cœur, jusqu’à ce que je sache les fidèles de cette Église revenus pour vous à leurs sentiments d’autrefois : il faut que cela se fasse sans retard. Si l’Apôtre s’est tant occupé d’un seul homme pour empêcher qu’une trop grande tristesse ne l’accablât, et pour éviter les surprises de Satan, dont nous connaissons tous les artifices[3], combien, à plus forte raison, nous faut-il de vigilance afin d’épargner ces angoisses à tout un troupeau, et surtout à ceux qui sont depuis peu rentrés dans l’unité catholique[4], et que je ne puis en

  1. Jonas, IV, 6.
  2. Entre deux grands hommes, qui étaient aussi deux grands saints, il n’était pas possible que la vérité ne triomphât point. Cette lettre de saint Augustin fit une vive impression sur l’esprit de saint Jérôme qui se rendit à l’avis de l’évêque d’Hippone ; dans son ouvrage contre Pélage, sous forme de dialogue entre Atticus et Critobule, le solitaire de Bethléem dit qu’il n’y a pas ou qu’il y a peu d’évêques irréprochables, puisque Pierre lui-même a mérité les reproches de l’apôtre Paul. « Qui se plaindra, s’écrie-t-il, qu’on lui refuse ce que n’a pas eu le prince même des apôtres ? ». Dix ou onze ans après la lettre qu’on vient de lire, saint Augustin, écrivant à Océanus au sujet du mensonge officieux, lui disait : « Le vénérable frère Jérôme et moi a nous avons assez traité cette question ; dans son récent ouvrage a contre Pélage, publié sous le nom de Critobule, il a adopté sur ce point et sur les paroles des apôtres le sentiment du bienheureux Cyprien que nous avons suivi nous-même. » On verra dans la suite de ce travail la lettre de l’évêque d’Hippone à Océanus, qui forme la CXXXe du recueil.
  3. II Cor. II, 7,11
  4. Le peuple de Thiave venait de renoncer au schisme de Donat, et on lui avait donné pour prêtre un religieux du monastère de Thageste, nommé Honoré. Celui-ci n’ayant pas encore disposé de ses biens, l’Église de Thiave y prétendait et ne voulait pas qu’on les laissât au monastère. Augustin engage son saint ami à y consentir.