Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/131

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arrive souvent en effet que des crimes ne soient révélés qu’après la mort des coupables et il n’est préjudiciable à personne d’avoir communiqué avec eux de leur vivant. Pourquoi donc, par une séparation téméraire et sacrilège, vous êtes-vous retranchés de la communion d’innombrables Églises d’Orient, qui ont toujours ignoré et ignorent encore les choses vraies ou fausses que vous racontez sur l’Afrique ?

2. Car c’est une autre question que celle de savoir si vous dites vrai, lorsque vous nous reprochez des crimes dont nous prouvons, par les documents les plus dignes de foi, que nous sommes innocents et que ceux de votre parti sont coupables. Mais, comme je le dis, c’est une autre question ; elle aura son tour, quand il le faudra. Ce que je recommande en ce moment à votre esprit, c’est qu’on ne saurait être souillé par les crimes inconnus de gens qu’on ne connaît pas ; d’où il résulte évidemment qu’il y a eu de votre part schisme sacrilège à vous séparer de la communion de l’univers, qui ignore certainement et a toujours ignoré les crimes, vrais ou faux, reprochés à des Africains. Et, toutefois, il ne faut pas oublier que les méchants, même ceux que l’on connaît, ne nuisent pas dans l’Église aux bons lorsque ceux-ci demeurent en communion avec eux, par l’impuissance de les retrancher ou par des motifs tirés de l’amour de la paix. Quels sont ceux qui, dans le prophète Ézéchiel[1], ont mérité d’être marqués, avant la désolation, et d’échapper au carnage ? Ce sont, comme il est dit expressément, les hommes qui s’affligent et déplorent les péchés et les iniquités du peuple de Dieu. Mais qui déplore ce qu’il ne sait pas ? C’est par la même raison que l’apôtre Paul supporte les faux frères. Ce n’est pas de gens inconnus qu’il disait : « Tous cherchent leurs intérêts, et non pas les intérêts de Jésus-Christ[2] ; » ceux-là pourtant étaient avec lui ; il le témoigne. Or, ceux qui ont mieux aimé sacrifier aux idoles ou livrer les Écritures divines que de mourir, ne sont-ils pas du nombre de ceux qui cherchent leurs intérêts et non les intérêts de Jésus-Christ ?

3. Je passe plusieurs témoignages des livres saints de peur d’allonger cette lettre plus qu’il ne faut, et je laisse à votre savoir le soin d’en méditer le plus grand nombre. Ceci suffit, voyez-le, je vous en supplie : car si tant de méchants, chants, mêlés au peuple de Dieu, n’ont pu rendre pervers ceux qui vivaient avec eux ; si la multitude des faux frères n’a pas fait de Paul place avec eux dans l’Église, un homme cherchant ses intérêts et non pas ceux de Jésus-Christ, il est manifeste qu’on ne cesse pas d’être bon par cela seul qu’on se mêle à des méchants même connus, au pied de l’autel du Christ : ce qui importe seulement, c’est de ne pas les approuver et de se séparer d’eux par une bonne conscience. Il est donc manifeste que courir avec un voleur[3], c’est voler avec lui ou l’approuver du cœur. Nous disons ceci pour enlever du terrain de la discussion des questions infinies et inutiles sur des faits qui ne sont d’aucune valeur contre notre cause.

4. Mais vous, si vous ne pensez point ainsi, vous serez tous comme fut Optat[4] dans votre communion, sans que vous l’ayez ignoré. À Dieu ne plaise que rien de pareil puisse se dire d’Emérite ni de tous ceux qui, à son exemple, sont entièrement étrangers parmi vous, je n’en doute pas, aux actes de ce persécuteur. Car, nous ne vous reprochons que le crime de séparation, qu’une mauvaise opiniâtreté a changée en hérésie. Pour savoir quelle est sa gravité au jugement de Dieu, lisez ce que je ne doute pas que vous n’ayez déjà lu. Vous verrez Dathan et Abiron engloutis dans la terre entr’ouverte, et tous leurs adhérents dévorés par le feu qui s’élançait du milieu d’eux[5]. Le Seigneur notre Dieu a donc fait connaître, par ce supplice, combien nous devons éviter ce crime, et si sa patience épargne maintenant ceux qui en sont coupables, nous devons comprendre ce qu’il leur réserve au jugement suprême. Nous ne vous blâmons pas de n’avoir pas excommunié Optat, lorsqu’il usait de son pouvoir comme un furieux, et qu’il avait pour accusateurs les gémissements de l’Afrique tout entière et vos propres gémissements, si toutefois vous êtes tel que vous fait la renommée, et Dieu sait que je le veux et le crois. Non, nous ne vous en blâmons pas : Optat excommunié aurait pu entraîner beaucoup de gens avec lui, et porter dans votre communion les déchirements et les fureurs du schisme. Mais c’est cela même qui vous condamne devant Dieu, Emérite, mon frère : une division dans le parti de Donat vous a paru un mal si grand que vous avez mieux aimé tolérer Optat dans votre communion que

  1. Ezéch. IX, 4, 6
  2. Philip. II, 21
  3. Ps. XLIX, 18
  4. Voir ci-dessus, lett. 51°, n. 3.
  5. Nomb. XVI, 31, 35