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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/159

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enfants vous sont nés pour succéder à vos pères ; vous les établirez chefs sur toute la terre[1]. » Si donc vous ne vous connaissez pas vous-même, sortez. Je ne vous chasse pas, mais sortez vous-même, pour qu’on dise de vous : « Ils sont sortis de nous, mais ils n’étaient pas de nous[2]. » Sortez sur les traces des troupeaux, non sur mes traces, mais sur celles des troupeaux ; je ne dis pas d’un seul troupeau, mais des troupeaux séparés et errants : Paissez vos chevreaux, non pas comme Pierre, à qui il est dit : « Paissez mes brebis[3], » mais paissez vos chevreaux autour des tentes des pasteurs, non point autour de la tente du pasteur, où il y a un seul troupeau et un seul pasteur[4]. Car l’Église se connaît elle-même, en sorte qu’il ne lui arrive pas ce qui arrive à ceux qui ne se sont pas connus en elle.

30. C’est elle dont le petit nombre de vrais enfants, en comparaison du nombre des méchants, fait dire « qu’elle est étroite et difficile la voie qui mène à la vie, et qu’il y en a peu qui y marchent[5]. » Et c’est aussi de la multitude de ces enfants qu’il a été dit : « Votre race sera comme les étoiles du ciel et le sable de la mer[6]. » Car les fidèles et les bons sont peu nombreux si on les compare aux méchants, mais nombreux, si on les considère en eux-mêmes. « En effet, il a été accordé plus de fils à la femme délaissée qu’à celle qui a un mari : plusieurs viendront de l’orient et de l’occident, et prendront place avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux[7] ; » et Dieu veut se former un peuple nombreux, zélé pour les bonnes œuvres[8] ; et des milliers d’hommes que nul ne peut compter, de toute tribu et de toute langue, se voient dans l’Apocalypse, avec des robes blanches et les palmes de la victoire[9]. C’est cette même Église qui parfois est obscurcie et comme assombrie par la multitude des scandales, quand « les pécheurs tendent l’arc afin de percer de traits au milieu des lueurs obscures de la lune ceux qui ont le cœur droit[10]. » Mais même alors elle resplendit dans ses enfants les plus forts. Et s’il fallait diviser le sens de ces divines paroles, ce ne serait pas en vain peut-être qu’il eût été dit de la race d’Abraham : « Elle sera comme les étoiles du ciel, comme le sable au bord de la mer. » Nous pourrions entendre, par les étoiles du ciel, les moins nombreuses des âmes chrétiennes, les plus fermes et les plus brillantes ; et par le sable du bord de la mer, la grande multitude des faibles et des charnels, qui paraît libre et paisible dans les temps calmes, mais que les flots des tribulations et des tentations couvrent et bouleversent.

31. C’est d’un de ces temps d’orage qu’Hilaire a parlé dans l’endroit que vous avez cru pouvoir opposer à tant de témoignages divins, comme si l’Église eût été effacée de la terre[11]. De cette manière vous pouvez dire que les Églises si nombreuses de la Galatie n’existaient plus, quand l’Apôtre s’écriait : « O Galates insensés ! qui vous a fascinés au point de finir par la chair après avoir commencé par l’esprit[12]. » C’est ainsi que vous calomniez un savant homme qui réprimandait sévèrement les languissants et les timides et les enfantait de nouveau jusqu’à ce que le Christ eût été formé en eux[13]. Qui donc ignore qu’en ce temps-là beaucoup de chrétiens, d’un sens borné, trompés par des mots obscurs, croyaient que les ariens avaient leur propre foi ? D’autres cédaient à la crainte et feignaient d’accepter cette doctrine, ne marchant pas droit selon la vérité de l’Évangile ; on les accueillit lorsqu’ils reconnurent leur erreur, mais vous n’auriez pas voulu qu’on leur eût pardonné. En vérité, vous ne connaissez pas les saintes Écritures. Lisez ce que Paul a écrit sur Pierre, ensuite ce qu’a pensé Cyprien sur le même sujet ; et que la mansuétude ne vous déplaise pas dans l’Église, qui rassemble les membres dispersés du Christ et n’en disperse pas les membres unis. Il y en eut peu alors qui demeurèrent fermes et reconnurent les pièges des hérétiques ; il y en eut peu si on les compare aux autres : mais parmi ces amis fidèles de la vérité, les uns expiaient dans l’exil leur courageuse résistance à l’erreur, les autres restaient cachés sur tous les points du monde. Ainsi l’Église, qui grandit sans cesse, se conserva dans le pur froment du Seigneur et elle se conservera jusqu’à ce qu’elle ait reçu dans son sein toutes les nations, même les nations barbares. Car l’Église, c’est ce bon grain qu’a semé le Fils de

  1. Ps. XLIV, 12, 17.
  2. I Jean, II, 19.
  3. Jean, XXI, 17.
  4. Jean, X, 16.
  5. Matth. VII, 14
  6. Gen. XXII, 17.
  7. Matth. VIII, 11.
  8. Tit. II, 14.
  9. Apoc. VII, 9.
  10. Ps. X, 3
  11. Saint Hilaire, dans son livre des conciles contre les ariens, avait dit : « Excepté Elusius et un petit nombre avec lui y la multitude, dans les dix provinces de l’Asie où je me trouve, ne connaît pas véritablement Dieu. » Vincent avait abusé de ce passage qui, d’après l’explication même de saint Augustin, n’exprime qu’un blâme contre l’ivraie de ces dix provinces d’Asie.
  12. Gal. III, 1
  13. Ibid. IV, 19