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toute louange ? Au reste, daignez nous dire ce que vous pensez des nombreuses différences entre le texte hébreu et le texte grec des Septante ; cette dernière version n’est pas d’un petit poids, puisqu’elle a mérité d’être ainsi répandue et que les apôtres s’en sont servis ce qui est évident, et je me souviens que vous l’avez attesté vous-même. Vous feriez donc une œuvre grandement utile en traduisant exactement en latin le texte grec des Septante ; les traductions latines varient si fréquemment dans les divers manuscrits que c’est à peine supportable, et comme on craint toujours qu’il y ait autre chose dans le grec, on n’ose y prendre ni citations ni preuves.

Je croyais que cette lettre serait courte, mais je ne sais comment j’ai senti en la poursuivant la même douceur que si j’avais parlé avec vous. Je vous en conjure par le Seigneur, répondez à tout, accordez-moi votre présence autant que vous le pouvez si loin de moi.

LETTRE LXXII.[1]

(Année 404.)

Des paroles dites avec trop de confiance, des malentendus et, par-dessus tout, des commentaires peu charitables, avaient mis au cœur de saint Jérôme une certaine amertume ; elle s’épanche avec assez de liberté dans les pages qu’on va lire.

JÉRÔME AU SEIGNEUR VRAIMENT SAINT ET BIENHEUREUX PAPE AUGUSTIN, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Vous m’écrivez souvent et vous me pressez de répondre à une certaine lettre dont une copie, sans votre signature, m’était parvenue par notre frère le diacre Sysinnius, comme je vous l’ai déjà mandé, et que vous nous dites avoir été d’abord confiée à notre frère Profuturus, ensuite à un autre ; que Profuturus, nommé évêque au moment de son départ, ne s’était pas mis en route et avait été bientôt après retiré de ce monde ; et que cet autre, dont vous taisez le nom, avait craint les périls de la mer et n’avait pas voulu s’embarquer. Cela étant, je ne puis assez m’étonner que cette lettre soit, dit-on, dans beaucoup de mains à Rome et en Italie, et que moi seul ne l’aie point reçue, moi à qui seul elle était adressée. J’ai d’autant plus lieu d’être surpris que le même frère Sysinnius assure avoir trouvé, il y a environ cinq ans, cette lettre parmi d’autres ouvrages de vous, non pas en Afrique, non pas chez vous, mais dans une île de l’Adriatique.

2. il ne faut laisser à l’amitié aucun soupçon ; on doit parler avec un ami comme avec soi-même. Quelques-uns de mes amis, vases du Christ, comme on en rencontre beaucoup à Jérusalem et dans les saints lieux, me faisaient entendre que vous n’aviez point agi en toute simplicité de cœur, mais pour grandir à mes dépens, pour chercher la louange, faire un peu de bruit et gagner un peu de gloire aux yeux du peuple : vous me provoquiez et vous laissiez croire que je redoutais un rival tel que vous : vous vous posiez comme un docte écrivain, et je me taisais comme un ignorant, et j’avais enfin trouvé quelqu’un pour me rabattre le caquet. Quant à moi, je l’avoue franchement, je n’ai pas voulu d’abord répondre à votre Grandeur, parce que je ne croyais pas que cette lettre fût de vous, et, comme dit le proverbe, que vous eussiez frotté votre épée avec du miel. Je craignais aussi de paraître répondre irrespectueusement à un évêque de ma communion et d’avoir à censurer quelque chose dans la lettre de mon censeur, d’autant plus que certains endroits me semblaient hérétiques.

3. Enfin je ne voulais pas vous donner le droit de dire : « Quoi donc ? aviez-vous vu ma lettre, aviez-vous bien reconnu la signature, pour blesser si facilement un ami, et rejeter injurieusement sur moi la malice d’autrui ? » Donc, comme je vous l’ai déjà écrit, envoyez-moi cette même lettre signée de votre main, ou bien cessez de provoquer un vieillard caché dans une cellule. Mais si vous voulez exercer ou étaler votre savoir, cherchez des hommes jeunes, éloquents et illustres, comme on dit qu’il y en a beaucoup à Rome, qui puissent et osent combattre avec vous, et, dans la discussion des saintes Écritures, marcher de pair avec un évêque. Pour moi, jadis soldat, aujourd’hui vétéran, il me faut célébrer vos triomphes et les triomphes des autres, et non pas retourner au combat avec un corps épuisé ; si vous me pressiez trop de vous répondre, je pourrais bien me souvenir de Quintus Maximus qui, par sa patience, brisa l’orgueil du jeune Annibal[2]. « Le temps emporte tout, même l’esprit. Je me rappelle avoir passé, dans ma jeunesse, des journées entières à chanter ; maintenant j’ai oublié tous ces chants ; Moeris n’a même plus de voix[3]. »

Et, pour m’en tenir aux saintes Écritures, Berzellai, de Galaad, laissant à son fils qui était jeune toutes les grâces et toutes les délices offertes par le roi David[4], a montré qu’il n’appartenait pas à la vieillesse de souhaiter ni d’accepter de tels biens.

4. Vous jurez que vous n’avez pas écrit de livre contre moi, et que, n’ayant rien écrit, vous n’avez rien envoyé à Rome ; vous me dites que s’il se rencontre dans vos ouvrages quelque chose qui diffère de mon sentiment, je ne dois pas me croire blessé par vous, mais que vous avez tout simplement écrit ce qui vous a semblé vrai. Écoutez-moi avec patience, je vous prie.

Vous n’avez pas écrit de livre ! mais comment ai-je reçu par d’autres les ouvrages où vous m’avez repris ? Comment l’Italie a-t-elle ce que vous n’avez point écrit ? Comment demandez-vous que je réponde à ce que vous dites n’avoir pas fait ? Pourtant, je ne suis pas assez dépourvu de sens pour

  1. Voir aussi les lettres dans les œuvres complètes de Saint Jérôme.
  2. Tit. Liv. Décati. 3, liv. 2.
  3. Virgile, égl. IX.
  4. II Rois, XIX, 32-37.