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DE L’ORDRE.

reprit-il, qui fait que l’ordre renferme le bien. Car ce n’est pas le bien seulement qui est dirigé avec ordre, mais le bien simultanément avec le mal. Et quand nous disons tout ce qui existe, nous ne parlons pas uniquement du bien ; d’où il suit que l’ordre règne en même temps dans tout ce que Dieu gouverne.

3. Je continuai : Tout ce qui est gouverné et conduit, te paraît-il en mouvement ou immobile ? — Tout ce qui se fait dans le monde, reprit-il, est en mouvement, je l’avoue. — Tu le nies quant au reste ? — Tout ce qui est en Dieu, répondit-il, ne se meut point, tout le reste se meut, à mon avis. — Mais, répliquai-je, si tu penses que tout ce qui est en Dieu ne se meut point, et que tu accordes le mouvement à tout le reste, tu nous montres que tout ce qui est mobile, n’est pas en Dieu. — Répète, dit-il, ton objection un peu plus clairement ; et en cela je crus voir en lui, moins la difficulté de comprendre, que le désir d’obtenir un délai pour chercher sa réponse. — Tu as dit, repris-je, que tout ce qui est avec Dieu ne se meut point, et que tout le reste est en mouvement. Si donc tout ce qui a mouvement n’en aurait plus en demeurant en Dieu, car tu refuses le mouvement à tout ce qui est en Dieu, il faut conclure que tout ce qui a mouvement est en dehors de Dieu.

Il gardait encore le silence. — Enfin : Il me semble, dit-il, que, même en ce monde, s’il y a des choses immobiles, elles sont avec Dieu. — Peu m’importe, répondis-je ; car tu avoues, je crois, qu’il n’y a pas mouvement dans tout ce qui est en ce monde ; il en résulte que tout ce qui est de ce monde, n’est pas en Dieu. — Je l’avoue, dit-il, tout n’y est pas. — Il y a donc quelque chose en dehors de Dieu ? — Non, reprit-il. — Donc tout est avec Dieu ? — Après une légère pause : Je t’en prie, dit-il, suppose que je n’ai pas dit qu’il n’y a rien en dehors de Dieu, car tout ce qui a mouvement ne me paraît pas être en Dieu. — Ce ciel est donc en dehors de Dieu, lui dis-je, car son mouvement n’est douteux pour personne. — Non, reprit-il, le ciel n’est pas en dehors de Dieu. — Donc il est en Dieu quelque chose de mobile ? — Je ne puis, répliqua-t-il, expliquer ma pensée comme je le voudrais, mais je fais appel à votre pénétration, et sans trop peser mes paroles, comprenez, si c’est possible, ce que je vais essayer de répondre. Il me semble que rien n’existe en dehors de Dieu, et tout ce qui est en Dieu me semble également immobile. Mais je ne puis dire que le ciel soit en dehors de Dieu ; car, non-seulement, à mon avis, rien n’existe en dehors de Dieu, mais je crois qu’il y a dans le ciel quelque chose d’immobile et qui est véritablement Dieu ou en Dieu. Je n’élève toutefois aucun doute sur la rotation et le mouvement du ciel.


CHAPITRE II.
QU’EST-CE QU’ÊTRE AVEC DIEU ? COMMENT LE SAGE DEMEURE IMMOBILE EN DIEU.

4. Qu’il te plaise donc de nous définir ce que c’est qu’être en Dieu, et ce que c’est que n’être pas en dehors de Dieu. Car si nous ne sommes en désaccord que sur les mots, laissons-là les mots, et fais nous voir l’objet de ta pensée. — Je n’aime pas de définir, répliqua-t-il. — Mais alors que ferons-nous ? — C’est toi, reprit-il, qui définiras ; je t’en prie, car il m’est plus facile de voir ce qui me déplaît dans la définition d’autrui, que d’expliquer ma pensée, par une bonne définition. — Je me rends à tes vœux, lui dis-je.

Considères-tu comme étant en Dieu ce que Dieu régit et conduit ? — Telle n’était pas ma pensée, répondit-il, quand je disais que les choses sans mouvement sont en Dieu. — Vois donc, répliquai-je, si cette définition te plaira : Tout ce qui comprend Dieu est en Dieu. — Je l’accepte, répondit-il — Mais le sage ne te paraît-il point comprendre Dieu ? — Il le comprend, dit-il. — Donc si des sages sont en mouvement, non-seulement dans une maison, ou dans une ville, mais dans des pays immenses, voyageant par terre et par mer, comment sera-t-il vrai que tout ce qui est en Dieu est immobile ? — Tu me portes à rire, dit-il, ai-je avancé que l’action même du sage soit en Dieu ? Ce qu’il connaît, voilà ce qui est en Dieu. — Alors, lui répliquai-je, le sage ne connaît ni son livre, ni son manteau, ni sa tunique, ni ses meubles, s’il en a, ni les autres choses de ce genre, que connaissent très-bien les sots ? — J’avoue, dit-il, que cette connaissance du manteau, de la tunique, n’est pas en Dieu.

5. Voici donc, repris-je, ce que tu as avancé : Tout ce qui est de la connaissance du sage, n’est point en Dieu, mais tout ce qu’il a en Dieu, le sage le connaît. C’est tout à fait cela.