Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/347

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E. Ce que tu viens de dire en dernier lieu m’avertit assez de la réponse que j’aurais à lui faire. Car, fût-il l’homme le plus absurde, il m’accorderait certainement qu’il n’y a pas lieu de discuter avec un homme de mauvaise foi et un entêté, sur quoi que ce soit, à plus forte raison sur un sujet si important. Cette concession faite, il me demanderait tout le premier de croire qu’il se livre à cette recherche de bonne foi, et qu’il n’y a en lui relativement à cette affaire aucune arrière-pensée de chicane ou d’opiniâtreté. Et moi je lui exposerais alors cette démonstration que je crois facile à tout le monde : puisque, lui dirais-je, tu veux qu’un autre croie sans les connaître aux sentiments que tu sais cachés dans ton âme, n’est-il pas plus juste encore que tu croies à l’existence de Dieu, sur la foi des livres de ces grands hommes, qui nous attestent dans leurs écrits qu’ils ont vécu avec le Fils de Dieu ; et cela d’autant plus qu’ils déclarent dans ces livres avoir vu des choses qui seraient impossibles si Dieu n’était pas ? Et cet homme serait par trop insensé s’il me blâmait de les croire, lui qui veut que je le croie lui-même. Mais, ce qu’il ne pourrait blâmer avec justice, il ne pourrait non plus trouver aucune raison pour refuser lui-même de le faire. — A. Mais, te dirai-je à mon tour, si sur la question de l’existence de Dieu tu estimes qu’il est suffisant de s’en rapporter au témoignage de ces grands hommes, auxquels nous avons jugé qu’on peut se fier sans témérité, pourquoi ne pas nous en rapporter de même à leur autorité sur ces points que nous avons entrepris d’étudier comme incertains et tout à fait inconnus, et ne pas cesser de nous fatiguer à cette recherche ? — E. Mais n’est-il pas convenu que nous désirons connaître et comprendre ce que nous croyons ? 6. A. Tu te rappelles parfaitement le principe que nous avons établi au début même de la discussion précédente (1) ; ce que nous ne nierons pas maintenant ; car, si croire et comprendre n’étaient pas deux choses différentes et si nous ne devions pas d’abord croire lés sublimes et divines vérités que nous devons comprendre, c’est en vain que le Prophète aurait dit : « Si vous ne croyez pas d’abord, vous a ne comprendrez pas (2). » Notre-Seigneur lui-même, et par ses paroles et par ses actions, a exhorté d’abord à croire ceux qu’il à appelés au salut. Mais ensuite, lorsqu’il parlait du don

1. Liv. I, ch. 2.— Is. VII, 6, selon les Sept.

même qu’il ferait aux croyants, il ne dit pas : La vie éternelle consiste à croire ; mais bien : « Voici en, quoi consiste la vie éternelle, c’est à vous connaître, vous, le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ (1). » Il dit encore à ceux qui croyaient déjà : « Cherchez et vous trouverez (2). » Car on ne peut pas dire qu’on a trouvé ce qu’on croit sans le connaître encore ; et personne ne devient apte à trouver Dieu, s’il n’a pas cru d’abord ce qu’il doit connaître ensuite. C’est pourquoi, obéissant aux préceptes du Seigneur, cherchons avec soin. Si, en effet, nous cherchons sur son invitation, il nous montrera lui-même aussi les choses que nous trouverons, autant qu’elles peuvent être trouvées dans cette vie par des hommes tels que nous. Et, en vérité, nous devons le croire ; il est donné aux meilleurs, dès cette vie, et certainement après cette vie à tous ceux qui sont bons et pieux, de voir ces choses et de les atteindre avec une évidence plus parfaite. Espérons qu’il en sera ainsi pour nous, et méprisant les choses terrestres et humaines, désirons et aimons de toutes nos forces les choses divines.

CHAPITRE III. QU’Y A-T-IL DE PLUS NOBLE DANS L’HOMME ? — COMMENT ARRIVER A LA PREUVE MANIFESTE DE L’EXISTENCE DE DIEU ?

7. Nous adopterons, si tu le veux bien, l’ordre suivant et nous rechercherons d’abord une preuve manifeste de l’existence de Dieu ; puis nous examinerons si tout ce qui est bien, en tant que bien, vient de Dieu, et enfin, si, parmi les biens, il faut compter la volonté libre. Quand nous aurons trouvé les solutions, il apparaîtra clairement, je pense, si c’est à bon droit que cette volonté a été donnée à l’homme. Pour commencer par les choses les plus évidentes, je, te demanderai d’abord si tu existes toi-même. Crains-tu de te tromper en répondant à cette question ? Alors tu existes, car autrement il ne te serait pas possible de te tromper. — E. Passe plutôt et avance. — A. Il est donc évident que tu existes, et comme cela ne te serait pas évident si tu ne vivais pas, il est évident aussi que tu vis. Comprends-tu que ces deux choses sont très-vraies ? — E. Je le comprends

1. Jean, XVII, 3.— 2. Matth. VII, 7.