correspondent des attributs analogues dans l’éternité.
CHAPITRE XVII.
56. Rappelons-nous seulement ce point essentiel dans le plan de notre ouvrage, que, par une loi de cette Providence quia guidé Dieu dans toutes ses créations, l’âme pécheresse et infortunée est gouvernée par des harmonies ou produit elle-même des harmonies à un degré aussi bas que peut aller la corruption de la chair : ces harmonies vont sans cesse en perdant le caractère de la beauté, mais elles ne peuvent en — être absolument dépouillées. Dieu, souverainement bon et souverainement juste, n’est pas jaloux de l’harmonie à laquelle donne naissance soit la damnation, soit la conversion, soit l’endurcissement de l’âme. Or, l’harmonie a son principe dans l’unité ; elle tire sa beauté de la proportion et de la symétrie, son enchaînement, de l’ordre. Aussi peut-on reconnaître que, pour subsister, tout être aspire à l’unité, s’efforce de demeurer semblable à lui-même, et maintient soit dans le temps soit dans l’espace, son rang particulier, en d’autres termes, qu’il assure la conservation de son organisme par un certain équilibre : sans reconnaître en même temps qu’un seul principe, qui se reproduit en image de soi-même parfaitement égale à lui-même, grâce au trésor de cette bonté qui fait régner la charité la plus parfaite entre l’unité et l’unité sortie de l’unité[1], a donné à tout l’être et la vie, à tous les degrés de la création.
57. Ainsi donc ce vers que nous avons déjà cité :
Deus creator omnium,
ne charme pas seulement l’oreille par une cadence harmonieuse ; il fait éprouver à l’âme une joie plus délicieuse encore par la pureté et la vérité de la pensée qu’il exprime. Sans doute tu n’es pas ici arrêté par ces esprits un peu lourds, pour employer l’expression la plus douce, qui soutiennent que rien ne peut sortir du néant, quoique la toute-puissance de Dieu ait accompli ce miracle. Quoi ! un artisan peut, grâce aux nombres intellectuels que recèle son art, développer ces nombres sensibles qu’il est dans son habitude de produire, et par les nombres sensibles, ces nombres de progrès dont il se sert dans l’action pour mettre en jeu tes organes, nombres en harmonie avec les divisions du temps ; il peut, dis-je, réaliser sur le bois des formes visibles en harmonie avec les divisions de l’espace ; la nature, qui obéit au signal de Dieu peut faire sortir le bois lui-même de la terre et des autres éléments : et Dieu n’aurait pu faire sortir les éléments mêmes du néant ? Mais il est nécessaire que les mouvements, dans le temps, précèdent les mouvements, dans l’espace ; vois plutôt un arbre. Parmi les végétaux, il n’en est aucun qu’on ne voie, dans les intervalles de temps qu’exige sa maturité, croître, produire des jets, se développer dans les airs, déployer son feuillage, se fortifier et porter soit des fruits, soit la semence même destinée à le reproduire en vertu de mouvements mystérieux qui s’opèrent dans le bois lui-même ; cette loi est encore plus sensible dans le corps des animaux, où les membres offrent aux regards une symétrie plus régulière. Et quand ces merveilles s’opèrent avec les éléments, les éléments eux-mêmes ne pourraient avoir été créés de rien ? Y aurait-il donc en eux rien qui fût plus bas, plus vil que la terre même ? Mais une parcelle de terre, si petite qu’elle soit, doit s’étendre en longueur, à partir d’un point indivisible, se développer en troisième lieu dans le sens de la largeur, et, en quatrième lieu, dans le sens de la profondeur, pour former un corps complet. Quel est donc le principe de cette dimension qui se développe depuis le point jusqu’au volume ? Quel est le principe de cette symétrie des parties dans un solide, produite par la longueur, la largeur et la profondeur ? Quel est le principe de cette analogie, de ce rapport qui fait sortir, dans une exacte proportion, la longueur du point géométrique, la largeur de la longueur, la profondeur de la largeur ? Quel en est le principe, sinon la source éternelle et suprême de l’harmonie, de la proportion, de la symétrie et de l’ordre ? Or, enlève à la terre ces propriétés, elle n’est plus rien. Donc la toute-puissance de Dieu a créé la terre, et la terre a été créée de rien.
- ↑ Dans ce « principe qui se reproduit en image de soi-même parfaitement égale à lui-même » et dans a cette unité sortie de l’unité, tout lecteur intelligent sentira qu’il est question du plus grand de nos mystères.