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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/496

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l’amour d’un but funeste ; de la force, qui ne sert qu’à résister au malheur ; de la justice, qui n’aspire à l’égalité avec les âmes bienheureuses ou à l’empire sur les êtres inférieurs, que dans les luttes qui l’empêchent d’atteindre à ses fins.

52. Le M. Ta réponse n’est pas absolument dénuée de sens ; ton opinion et celle de quelques philosophes, je ne le nie, pas. Mais en consultant les Livres revêtus de la plus haute autorité, je trouve qu’il a été écrit : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux[1] », passage répété par l’apôtre Pierre « Si vous aviez goûté cependant combien le Seigneur est doux[2] ! » C’est en cela précisément que consiste, selon moi, l’effet de ces vertus qui purifient l’âme en la convertissant. Car, le charme des choses périssables ne saurait être vaincu que par un certain attrait des choses éternelles. Mais que se passera-t-il au moment qui nous est révélé par ces paroles « Les fils des hommes espéreront à l’ombre « de vos ailes : ils seront enivrés de l’abondance de votre maison, et vous les abreuverez au torrent de votre félicité : car c’est en vous qu’est la source de la vie ? » Il ne dit pas ici que le Seigneur sera doux à goûter ; mais vois quelle intarissable effusion des trésors éternels nous est prédite ! Une ivresse divine en sera même la conséquence, et ce mot me semble exprimer merveilleusement l’oubli des vanités et des songes du monde. Il a ajouté : « Nous verrons votre lumière dans votre lumière. Montrez votre miséricorde à ceux qui vous connaissent. » Par lumière, il faut entendre le Christ qui est la sagesse de Dieu et mille fois nommé sa lumière. Donc ces deux mots : « nous verrons », et, « ceux « qui vous connaissent », nous font voir clairement que la prudence subsistera dans le ciel. Car est-il possible que, sans la prudence, l’âme voie et connaisse son véritable bien ? — L’E. J’entends.

53. Le M. Ceux qui ont le cœur droit peuvent-ils l’avoir sans la justice ? — L’E. Je me rappelle effectivement que par cette expression on désigne souvent la justice. — Le M. Ne voyons-nous pas cette alliance d’idées exprimée par le Prophète, lorsqu’il s’écrie d’un ton inspiré : « Et votre justice à ceux qui ont le cœur droit ? » — L’E. C’est évident. — Le M. Eh bien ! rappelle-toi, je te prie, que l’âme, comme nous l’avons suffisamment démontré, se laissait aller par orgueil à des actes qui dépendaient de son pouvoir et tombait, au mépris de la loi universelle, dans la sphère de ses propres volontés, état qui s’appelle l’apostasie ou l’abandon de Dieu. — L’E. Je m’en souviens. — Le M. Quand l’âme donc s’efforce de s’arracher à ce plaisir du sens propre, ne te semble-t-elle pas reporter tout son amour sur Dieu, et, loin de toute souillure, mener une vie de tempérance, de pureté et de calme ? — L’E. Assurément. — Le M. Remarque aussi comme le Prophète ajoute : « Puissé-je n’avoir jamais le pied de l’orgueilleux ! » Par pied il entend ici l’apostasie et la chute dont se préserve l’âme pour s’attacher à Dieu et vivre éternellement. — L’E. J’entends et j’adopte ta pensée.

54. Reste maintenant la force. Or, si la tempérance nous garde de la chute qui dépend de notre libre volonté, la force est surtout efficace contre la violence qui peut entraîner une âme peu vigoureuse à sa ruine et à sa dégradation déplorable. Cette violence a dans l’Écriture un nom très-expressif : c’est celui de bras. Et qui peut faire cette violence, sinon les pécheurs ? Si donc l’âme est prémunie contre une pareille violence et qu’elle ait pour sauvegarde l’appui de Dieu, qui la met à l’abri des coups, de quelque part qu’ils viennent, elle possède une puissance solide et pour ainsi dire invincible, puissance que l’on nomme la force à juste titre, comme tu en conviendras, et que le Prophète désigne, je le crois, lorsqu’il ajoute : « Et que le bras des pécheurs ne puisse m’écarter de vous[3]. »

55. Quel que soit du reste le sens qu’on donne à ces mots, nieras-tu que l’âme, arrivée à cette perfection et à ce bonheur contemple la vérité, vit sans tache, reste inaccessible à toute espèce de peine et soumise à Dieu seul, et qu’enfin elle domine souverainement tous les autres êtres ? — L’E. Je ne conçois pas qu’il y ait pour elle une autre perfection, un autre bonheur. — Le M. Cette contemplation de la vérité, cette sanctification, cet empire sur la sensibilité, cette harmonie, composent les quatre vertus dans leur perfection absolue ; ou, pour ne pas nous inquiéter des mots quand nous sommes d’accord sur le fond des choses, nous avons droit d’espérer qu’à ces vertus, dont l’âme fait usage dans ses épreuves,

  1. Psa. 33, 9.
  2. 1 Pierre 2, 3.
  3. Psa. 35, 8