Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/101

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est une chose », que je ne crois pas avoir encore. J’ai beaucoup, mais il est une chose que je n’ai pas encore. « J’ai demandé une grâce au Seigneur, je la réclamerai encore ». Qu’as-tu demandé et que réclames-tu ? « C’est d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie ». Pourquoi ? « Afin de contempler la joie du Seigneur[1] ». Voilà la chose unique que l’Apôtre assurait n’avoir point obtenue encore ; et plus il en était éloigné, moins il était parfait.

17. Vous vous rappelez, mes frères, ce passage de l’Évangile où il est parlé de deux sœurs, Marthe et Marie, qui donnèrent l’hospitalité au Seigneur. Oui, vous vous le rappelez : Marthe s’empressait à faire de nombreux préparatifs et avait soin de la maison ; car enfin elle recevait le Seigneur et ses disciples. Elle cherchait, avec un empressement tout religieux, à faire en sorte qu’aucun égard ne manquât chez elle à ces saints personnages. Or, pendant qu’elle s’empressait ainsi, Marie sa sœur était assise aux pieds du Seigneur et recueillait sa parole. Mécontente, au milieu de ses soins, de la voir assise sans s’occuper de ce qu’elle faisait, elle en appela au Sauveur : « Vous plaît-il, Seigneur, lui dit-elle, que ma sœur me laisse ainsi, quand je suis si pressée ? Marthe, Marthe, reprit le Seigneur, tu t’occupes de beaucoup de choses ; il n’y en a pourtant qu’une de nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point ôtée[2] ». La tienne est bonne, la sienne est meilleure. La tienne est bonne, car il est bon de s’appliquer à servir les saints, mais la sienne est meilleure. En effet ce que tu as choisi passe. Tu apaises la faim et la soif, tu nous prépares des lits de repos, et tu ouvres ta porte quand nous voulons loger ici. Tout cela passe ; viendra le temps où on n’aura plus besoin de manger, de boire ni de dormir ; tu perdras alors ton emploi. « Marie a choisi la meilleure part ; elle ne lui sera point ôtée. – Elle ne lui sera point ôtée » ; car elle a choisi de contempler et de vivre de la parole. Que ne sera point cette vie par la Parole, sans bruit de paroles ! Marie vivait bien alors de la Parole, ruais avec un bruit de paroles. Viendra la vie par la Parole, sans aucun bruit de paroles. La Parole même est la vie. « Nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est[3] ». Telle était l’unique grâce demandée, afin de contempler la joie du Seigneur. Nous n’en pouvons jouir durant la nuit de ce siècle. « Je paraîtrai devant vous le matin, et je vous contemplerai[4] ». Ainsi donc « il est une chose que je ne crois pas avoir atteinte ».

18. Que fais-je alors ? « Oubliant ce qui est en arrière et m’élançant vers ce qui est en avant, je tends au terme », maintenant encore, « à la palme à laquelle Dieu m’a appelé d’en haut par Jésus-Christ ». Oui, je marche encore, j’avance, je suis sur la route, je me hâte, je ne suis pas encore arrivé. Toi donc également, si tu marches, si tu t’avances encore, si tu penses à l’avenir ; oublie le passé, ne t’y arrête pas, dans la crainte de t’arrêter au point sur lequel tu fixes les yeux. Souvenez-vous de la femme de Lot[5]. « Ayons ces sentiments, nous tous qui sommes parfaits ! » Il avait dit : « Ce n’est pas que je sois parfait » ; et il dit maintenant : « Ayons ces sentiments, nous tous qui sommes parfaits ! » – « Je ne crois pas avoir atteint. Ce n’est pas que j’aie encore atteint ou que je sois déjà parfait » ; et maintenant Ayons ces sentiments, nous tous qui sommes parfaits[6] » C’est qu’on peut être parfait et imparfait en même temps ; parfait voyageur sans être encore possesseur parfait. Or, pour te convaincre que l’Apôtre parle ici de voyageurs parfaits, de ceux qui sont parfaits comme voyageurs, sans être encore eu possession du souverain bien, remarque ce qui suit : « Ayons ces sentiments, nous tous qui sommes parfaits ; et si vous en avez d’autres » ; car vous pourriez être tentés de vous croire quelque chose, malgré ces paroles : « Quiconque s’estime quelque chose, s’abuse lui-même, puisqu’il n’est rien[7] » ; et malgré ces autres : « Si quelqu’un se persuade savoir quelque chose, il ne sait pas encore comment il doit savoir[8] ». Ainsi donc, « si vous avez d’autres sentiments », si vous êtes faibles encore, « Dieu vous éclairera aussi sur ce point. Marchons cependant dans le chemin que nous connaissons déjà ». Afin donc que Dieu nous détrompe, ne nous arrêtons pas à ce que nous savons déjà ; allons en avant, marchons. Vous voyez bien que nous sommes voyageurs. Demandez-vous ce que c’est que marcher ?

  1. Psa. 26, 4
  2. Luc. 10, 38-42
  3. 1Jn. 3, 2
  4. Psa. 5, 5
  5. Luc. 17, 32
  6. Gal. 6, 3
  7. 1Co. 8, 2
  8. 1Co. 8, 2