Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/659

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contre les Manichéens, suivant lesquels il était Dieu sans être homme en même temps ; enfin, nous avons profité de l’occasion présente pour vous parler de l’âme du Sauveur et combattre l’erreur des Apollinaristes : ces hérétiques, nous l’avons dit, soutiennent que le Christ n’a pas eu d’âme humaine, d’âme raisonnable et intelligente, une âme, enfin, qui nous distingue des bêtes, et telle qu’il en faut une pour faire de nous des hommes.
10. Comment le Sauveur a-t-il dit ici : « J’ai le pouvoir de donner ma vie ? » En quelle qualité donne-t-il sa vie ? Quelle vie donne-t-il ? Est-ce en tant que Verbe que le Christ donne sa vie et qu’il la reprend ? Est-ce en tant qu’il est âme humaine, qu’il se perd pour se retrouver ensuite ? Est-ce en tant que corps qu’il abandonne son âme et s’en ressaisit ? Autant de questions qu’il nous faut traiter : nous choisirons la solution la plus conforme à la règle de la vérité. Si nous disons : Le Verbe de Dieu a quitté son âme et l’a reprise ensuite, il est à craindre que nous donnions lieu à une mauvaise interprétation, et qu’on nous dise : Cette âme a donc été séparée du Verbe pendant un certain temps, et à partir du moment où il a pris cette âme, le Verbe s’en est un jour trouvé dépourvu. Je le sais bien, à une certaine époque le Verbe n’a pas eu d’âme humaine, c’est quand, « au commencement, était le Verbe, et » que « le Verbe était en Dieu, et » que « le Verbe était Dieu » ; mais le Verbe en a eu une, dès qu’« il s’est fait chair pour habiter parmi nous [1] », et qu’il s’est revêtu de notre humanité ; car il est devenu homme complet, c’est-à-dire qu’il a pris un corps et une âme. À quoi ont abouti ses souffrances et sa mort, sinon à séparer son corps et son âme ? Mais son âme, elles ne l’ont jamais séparée du Verbe. Si le Sauveur est mort, ou plutôt parce qu’il est mort (et, de fait, il est mort pour nous sur la croix), il est sûr que son corps a rendu son âme par son dernier soupir ; et celle-ci s’en est éloignée, pour revenir bientôt en lui et le ressusciter. Mais je suis loin de dire que l’âme du Christ a été séparée du Verbe. Il a dit, en effet, à l’âme du larron : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis [2] ». À ce moment-là, il n’abandonnait pas l’âme fidèle du larron, et il aurait alors abandonné la sienne ? Comme le Seigneur Jésus a gardé celle du brigand, il est resté inséparablement uni à la sienne. Si nous disons que son âme s’est séparée d’elle-même, pour se retrouver ensuite, nous dirons la plus grossière absurdité ; car une âme qui ne s’est point séparée du Verbe, ne pouvait se séparer d’elle-même.
11. Disons donc ce qui est vrai et facile à comprendre, et pour cela, prenons, comme terme de comparaison, le premier homme venu. Il ne se compose point du verbe, d’une âme et d’un corps ; il se compose uniquement d’un corps et d’une âme : apprenons de lui comment un homme quelconque quitte son âme. Est-ce qu’aucun ne la quitte ? Tu es à même de me dire : personne n’a le pouvoir de quitter son âme et de la reprendre. Mais si personne ne pouvait quitter son âme, l’apôtre Jean ne dirait pas : « Comme le Christ quitte son âme pour nous, ainsi devons « nous la quitter pour nos frères [3] ». Par conséquent, il nous est permis de quitter nos âmes pour nos frères, si, toutefois, nous sommes remplis du dévouement de celui sans l’aide duquel nous ne pouvons rien faire. Quand un saint martyr a quitté son âme pour ses frères, en quelle qualité l’a-t-il quittée ? quelle vie a-t-il quittée ? Si nous saisissons bien ceci, nous verrons en quel sens le Christ a dit : « J’ai le pouvoir de quitter mon âme ». O homme, es-tu prêt à mourir pour le Christ ? – Je le suis. – Je vais m’exprimer d’une autre manière : Es-tu prêt à quitter ton âme pour le Christ ? À ces mots, on me répond : Je suis prêt, comme on m’avait répondu quand je demandais. Es-tu prêt à mourir ? Quitter son âme et mourir, c’est donc la même chose. Mais pour qui y a-t-il ici combat ? Il suffit à un homme de mourir pour quitter son âme, mais tous ne la quittent point pour le Christ, et personne n’a le pouvoir de reprendre ce qu’il a quitté : le Christ, au contraire, a quitté la sienne pour nous ; il l’a quittée quand il a voulu, et quand il a voulu, il l’a reprise. Quitter son âme, c’est donc mourir. L’apôtre Pierre a dit, en ce sens, au Sauveur : « Je quitterai mon âme pour vous [4] » ; c’est-à-dire : Je mourrai pour vous. Agir ainsi, c’est le propre du corps : le corps quitte son âme, et il la reprend non par l’effet de son propre pouvoir, mais par la puissance de celui qui y réside

  1. Jn. 1, 1, 14
  2. Lc. 23, 43
  3. 1 Jn. 3, 16
  4. Jn. 13, 37