Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/349

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corruption. Vous voyez un cadavre se corrompre, et vous frémissez d’horreur, et pourtant ce spectacle est moins triste encore parce que vous savez que l’âme a disparu. Dans Job au contraire l’âme était là pour sentir, enchaînée sans pouvoir fuir, esclave pour souffrir, broyée pour se plaindre. Or, ce patriarche supporta cette grande épreuve, et sa patience fut pour lui le titre d’une justice éclatante. Que l’homme ne considère donc pas ce qu’il souffre, mais ce qu’il fait. Il n’est pas en votre puissance de souffrir ou de ne souffrir pas ; mais quant à vos actions, elles sont le fruit de votre volonté bonne ou mauvaise. Job souffrait et la seule personne qui lui restât, c’était sa femme, qui au lieu de le consoler ne faisait qu’aggraver son épreuve ; au lieu de le guérir, elle le poussait au blasphème : « Blasphémez contre Dieu, lui disait-elle, et mourez ».

Voyez combien il lui eût été avantageux de mourir, et personne ne lui accordait ce bienfait. Mais dans tout ce qu’il avait à souffrir, sa patience s’exerçait, sa foi s’affermissait, sa femme restait confondue, et le démon était vaincu. Quel spectacle, et comme sa vertu brille d’un vif éclat dans cette horrible corruption ! Son ennemi le consume intérieurement ; le mal lui est ouvertement conseillé par sa femme, devenue son ennemie et le bras dévoué du démon. C’était une nouvelle Eve, mais Job ne fut pas le vieil Adam : « Blasphémez contre Dieu, et mourez ». Arrachez par le blasphème ce que vous n’avez pu obtenir par vos prières. « Vous et avez parlé, lui dit-il, comme une femme insensée ». Remarquez ces paroles d’un croyant courageux, d’un homme dont le corps tombait en pourriture, mais dont l’âme restait dans toute son intégrité : « Vous avez parlé comme une femme insensée. Si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, pourquoi ne supporterions-nous pas aussi l’adversité[1] ? » Dieu est un Père, ne l’aimerons-nous que quand il nous flatte, pour le mépriser quand il nous corrige ? N’est-il pas un Père qui promet la vie, et impose la discipline ? Avez-vous oublié ces paroles :« Mon fils, lorsque vous entrez au service de Dieu, demeurez ferme dans la justice et dans la crainte, et préparez votre âme à la tentation. Acceptez de bon cœur tout ce qui vous arrivera ; demeurez en paix dans votre douleur, et au temps de votre humiliation, conservez la patience ; car l’or et l’argent s’épurent par le feu, mais les hommes agréables à Dieu s’éprouvent dans le creuset de l’humiliation[2] ? » Avez-vous oublié ces autres par les : « Le Seigneur corrige celui qu’il aime ; il frappe de verges tous ceux qu’il reçoit au nombre de ses enfants[3] ? »

CHAPITRE IV.

les souffrances temporelles comparées a l’enfer.

4. Résumez comme dans un seul tableau toutes les douleurs, toutes les souffrances humaines, comparez-les à l’enfer et vous les trouverez légères. Ici la souffrance n’est que temporelle, là elle est éternelle comme celui qui l’inflige, comme celui qui la subit. Souffrent-ils encore, ceux qui ont tant souffert pendant le sac de Rome ? Quant au mauvais riche, ses tourments sont restés les mêmes en enfer[4]. Il brûlait ; il brûle, il brûlera, il vivra jusqu’au jugement, et il retrouvera son corps, non pas pour son bonheur, mais pour son supplice. Craignons ces peines éternelles, si nous craignons Dieu. L’homme a tout gagné, si ses souffrances ici-bas ont amené sa conversion ; et s’il ne se convertit pas, qu’il s’attende à une double damnation : ici-bas les peines temporelles, après la mort les peines éternelles.

Voici donc ce que je vous dis, mes frères : nous louons les saints martyrs, nous les glorifions, nous les admirons ; nous célébrons avec une pieuse solennité le jour de leur fête, nous vénérons leurs mérites, et nous les imitons si nous le pouvons. Grande est assurément la gloire des martyrs ; mais je ne sais si elle surpasse celle de Job. Et cependant on ne lui disait pas : Offrez de l’encens aux idoles, sacrifiez aux faux dieux, renoncez à Jésus-Christ ; mais on lui disait : Blasphémez contre Dieu. En le lui disant, sa femme ne voulait pas lui faire entendre que s’il blasphémait, ses plaies seraient cicatrisées, ni que la santé lui serait rendue ; si vous blasphémez, lui disait cette femme inepte et grossière, vous mourrez et en mourant vous serez délivré de tous vos tourments. Ignorait-elle donc que celui qui meurt dans le blasphème, doit s’attendre aux souffrances éternelles ? Cette femme insensée avait en horreur le spectacle cruel de la cor-

  1. Job, i et ii.
  2. Eccli. ii, 1-5.
  3. Prov. iii, 12 ; Hébr. xii, 6.
  4. Luc, xvi, 19, 26.