Page:Avezac-Lavigne - Diderot et la Société du baron d’Holbach, 1875.djvu/158

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comté de Neufchâtel : « L’offre, dit-il, venait d’autant plus à propos, que, dans les États du roi de Prusse, je devais naturellement être à l’abri des persécutions, et qu’au moins, la religion n’y pouvait guère servir de prétexte. »

En arrivant à Motiers-Travers, il écrivit au gouverneur de Neufchâtel, milord Keith, — plus connu sous le nom de milord Maréchal, — pour lui donner avis de son arrivée dans les États de Frédéric, et pour lui demander sa protection. Rousseau rencontra chez le gouverneur un bon avocat, et chez le roi de Prusse les meilleures dispositions. C’est à Motiers qu’il adopta l’habit d’Arménien. Il prit donc la veste, le cafetan, le bonnet fourré, la ceinture, et, dans cet équipage, se rendit au service divin ; car, depuis son voyage à Genève, il était revenu au protestantisme, et il tenait à en observer tous les rites, la communion comprise. Mais la publication des Lettres de la Montagne, ayant produit à Genève une effervescence qui se propagea rapidement à Berne, à Neufchâtel, et jusqu’au Val-Travers, le ministre Montmolin conseilla à Jean-Jacques de s’abstenir de toute cérémonie publique. Au lieu de tenir compte de cet avis, Rousseau s’entêta, et la populace, de qui son habit d’Arménien le faisait reconnaître, le poursuivit de ses quolibets, quand il se rendit au temple. Une telle ovation, qui aurait dû le rendre plus circonspect, lui donna l’envie de s’ériger en martyr. « Je me promenais tranquillement dans le pays, dit-il, avec mon caffetan et mon bonnet fourré, entouré des huées de la canaille, et quelquefois de