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poèmes narratifs. De plus, tous ces genres se développent soudain, concurremment, vers le milieu du xiie siècle. Ils germent pêle-mêle, s’organisent, puis se différencient ; mais, avant qu’ils aient pris claire conscience d’eux-mêmes, ils se confondent dans une sorte d’indétermination. Tout genre connaît, à sa naissance, de pareilles hésitations. Qu’on se rappelle, par exemple, l’embarras des poètes du règne de Louis XIII pour distinguer, par des mots divers, les différents genres dramatiques, à l’époque où Corneille n’appliquait pas encore les règles « parce qu’il ne savait pas qu’il y en eût », et où il intitulait pareillement tragi-comédies, Clitandre et le Cid. Ajoutez que le mot fabliau qui, par étymologie, signifiait simplement court récit fictif, était né vague : d’où sa facilité à s’appliquer à des poèmes divers de ton et d’inspiration.

Pourtant une tradition s’établit vite, qui affecta exclusivement le mot à des poèmes d’un genre très spécial. Il nous est aisé de discerner quels ils sont : si, en effet, sur les 300 fables environ que nous a léguées le moyen âge, 4 seulement portent le titre de fabliaux si, pareillement, 7 dits seulement sur 300 sont qualifiés de fabliaux, c’est que cette étiquette est indûment appliquée à ces 4 fables, à ces 7 dits, et l’on doit les exclure d’un dénombrement des fabliaux[1]. Si, au contraire, cinquante poèmes portent ce nom, qui toua répondent à peu près au type du Vilain Mire, c’est que tous les poèmes analogues doivent être appelés fabliaux.

On arrive ainsi à cette simple définition :

Les fabliaux sont des contes à rire en vers.

Elle est un peu étroite : elle ne convient pas à quelques rares poèmes, à certains, par exemple, qui sont plutôt des nouvelles sentimentales, et que les trouvères nommaient pourtant des fabliaux. Mais, sous la réserve des quelques éclaircissements que voici, elle suffit. Elle nous rend possible cette tâche minutieuse et nécessaire, qui est le dénombrement exact de notre collection de fabliaux.

  1. On trouvera dans le travail de M. Pilz la liste des poèmes qui ont usurpé ce titre au moyen âge : 3 fables ou 4 ; 2 débats ou batailles, 7 dits, le songe d’Enfer de Raoul de Houdenc, le Fablel dou dieu d’Amours, etc.