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1o  Les fabliaux[1], disons-nous d’abord, sont des contes.

Ce qui les constitue essentiellement, c’est le récit. Il faut donc exclure tous les poèmes qui ne contiennent pas la moindre historiette, et, de ce chef, nous supprimerons de la collection de MM. de Montaiglon et Raynaud dix poèmes qui sont des satires, des lieux communs moraux, des éloges de corps de métier, des tableaux de mœurs : toutes ces pièces rentrent dans la catégorie, assez mal définie, des dits[2]. Mais la limite est parfois indécise entre les dits et les fabliaux. Le Valet qui d’aise a malaise se met, par exemple, est-il un conte très faible ou un excellent tableau de mœurs[3] ? L’un et l’autre. Il sera bon de respecter l’indécision même des trouvères, et de marquer, en accueillant ce poème dans notre collection, comment les fabliaux peuvent confiner à des genres divers.

Les fabliaux sont des contes : ils étaient narrés et non chantés. Il faudra, par suite, supprimer de la collection Montaiglon la Châtelaine de Saint-Gilles[4], qui aurait mieux trouvé sa place parmi les chansons de mal mariées réunies par Bartsch[5].

  1. On trouve, auprès des formes communes (fablel, fabliau, fableau), les formes curieuses flabel, flablel. Exemples : se flabliaus puet veritez estre… (Le Vilain de Bailleul) ; — un Flablel courtois et petit… (Le prestre qui abevete) ; — Dont le flablel je vous dirai… (Les trois aveugles) ; un flabel merveillous et cointe… (Les Quatre Souhaits) ; un flabel qui n’est mie briés… (Le Prêtre qu’on porte). — Sur cette singulière mobilité de l’l, voy. W. Foerster, Jahrbuch f. rom. u. engl. Phil., N. F., I, 286.
  2. Le mot dit, comme son sens étymologique le laisse prévoir, est extrêmement compréhensif. Aussi s’emploie-t-il comme synonyme non technique de fabliau, en tant que le fabliau est une espèce du genre narratif. Les trouvères appellent communément leurs fabliaux des dits :

    Metre vueil m’entente et ma cure
    A fere un dit d’une aventure…
    Atant ai mon fablel finé.

    (Les Braies du cordelier, III, 88.)

    Cf. III, 62, III, 80, etc. — Tout fabliau est un dit ; mais la réciproque n’est pas vraie. Un poème sans récit est un dit et n’est pas un fabliau. C’est pourquoi nous effaçons de la liste de MM. de Montaiglon et Raynaud les dits dialogués des Troveors ribaus (I, 1) et de la Contregengle (II, 53) ; les dits des Marcheanz (II, 37) ; des Vins d’Ouan (II, 41) ; de l’Oustillement au vilain (II, 43), des Estats du siecle (II, 54), du Faucon lanier (III, 66) ; de Grognet et de Petit (III, 56) ; une branche d’armes (II, 38), la patrenostre farsie (II, 42).

  3. L’auteur du Valet qui a malaise se met appelle son poème un fabliau (v. 376). Mais M. Pilz (p. 21) lui refuse cette qualité.
  4. La Châtelaine de Saint-Gilles, MR, I, 11.
  5. V. Jeauroy, Les origines de la poésie lyrique en France, 1889, ch. IV.