Page:Bédier - Les Fabliaux, 2e édition, 1895.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 32 —

Faut-il donc en exclure, pour la même raison, le Prêtre qui fut mis au lardier[1] ? Cette spirituelle piécette est rimée sous forme strophique, et le poète l’appelle lui-même « une chanson[2] ». Mais nous serions fort en peine de lui trouver sa place parmi des poèmes similaires, dans un genre lyrique quelconque. Au rebours de la Châtelaine de Saint-Gilles, elle ne rentre dans aucun groupe de chansons connu, mais procède, par contre, de la même inspiration que les fabliaux. — Accueillons-la donc comme l’unique spécimen d’une variété rare du genre : le fabliau chanté. Un jongleur s’est amusé à chanter sur sa vielle, peut-être sur un mode parodique et bouffon, un fabliau ; c’est une fantaisie qui a dû se renouveler plus d’une fois.

Les fabliaux sont des contes : ce qui implique une certaine brièveté : le plus court a 18 vers[3] ; le plus long, près de 1.200[4]. En général, ils comptent de 300 à 400 vers octosyllabiques. Par cette brièveté, ils s’opposent, dans la terminologie, du XIIIe siècle, aux romans[5] Mais combien faut-il de vers pour qu’un long fabliau devienne un court roman, ou pour qu’un court roman devienne un long fabliau ? Comme il est malaisé d’en juger, les critiques disputent s’il faut dire le roman de Trubert ou le fabliau de Trubert. Pourtant, une différence plus interne sépare le fabliau du roman. Le fabliau n’a point, comme le roman, l’allure biographique. Il prend ses héros au début de l’unique aventure qui les met en scène et les abandonne au moment où cette aventure finit. Par là, il semble donc bien qu’il y ait quelque inexactitude à ranger Richeut et Trubert parmi les fabliaux. Nous recevrons cependant ces poèmes dans notre liste, non comme des fabliaux proprement dits, mais comme les uniques représentants d’un sous-genre très voisin et plus prochement apparenté aux fabliaux qu’à nul autre genre.

2o Les fabliaux sont des contes à rire.

Comme tels, ils ont comme synonymes non techniques dans la

  1. Le Prestre au lardier, MR, II, 32.
  2. V. 167.
  3. MR, VI, 144.
  4. MR, IV, 89.
  5. À la fin du Prêtre qu’on porte, qui est la plus longue pièce de la collection Montaiglon, le ms. A appelle deux fois ce récit un roman, le ms. B, aux mêmes vers (1155-6), l’appelle deux fois un fablel.