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compilés au hasard, mais de véritables collections d’amateurs, à la formation desquelles un certain choix a présidé. Il convient pourtant de faire cette importante réserve : ces collections représentent excellemment le genre, mais à un moment déjà tardif de son développement. On n’a songé qu’assez tard à réunir des fabliaux, tout comme les contes qui couraient sur Renart et Ysengrin : les plus archaïques ont péri presque tous.

IV

À quelle époque a fleuri le genre littéraire des fabliaux ? Il est très facile de le déterminer.

Le plus ancien fabliau qui nous soit parvenu est celui de Richeut il est daté de 1159[1]. Les plus récents sont de Jean de Condé, qui mourut vers 1340.

Ce sont, bien probablement, les dates extrêmes qui marquent la naissance et la mort de ce genre.

En effet, Richeut est, sans doute, l’un des plus anciens fabliaux qui aient été rimes. Non que le haut moyen âge ait ignoré les contes ; mais ils vivaient de l’obscure vie populaire, comme les contes de fées qui, eux, ne parvinrent que rarement alors à la littérature. La mode de les rimer ne vint qu’au xiie siècle, et le genre devait être, en 1159, très voisin de sa naissance. Il n’est pas encore asservi à des normes : Richeut est écrit dans un mètre difficile ; le genre n’a pas adopté jusqu’alors ces petits octosyllabes à rimes plates, ce vers familier à tous nos conteurs légers, de Rutebeuf à La Fontaine et à Musset, si cher aux poètes médiocres. De plus, l’auteur de Richeut ne semble pas encore avoir de mot pour nommer son poème : tel Joachim du Bellay, rêvant aux Franciades futures et qui ne savait encore désigner l’épopée que par cette maladroite périphrase : « le long poème français. » À cette date, le nom de fabliau n’est pas encore affecté à ce genre de poèmes, et les plus anciens exemples du mot se trouvent, je crois, vers 1180, dans les fables de Marie de France.

De même, la date de la mort de Jean de Condé, 1340, est bien

  1. V. une petite monographie du fabliau de Richeut, que j’ai publiée dans les Études romanes dédiées à M. G. Paris par ses élèves français, 1891.