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aussi celle où meurent les fabliaux. Le genre entre en décadence dès le début du xive siècle et le mot lui-même tombe en désuétude chez Jean de Condé, qui intitule ses fabliaux des dits. Après lui, le mot disparaît. Tandis que d’autres termes voisins, le mot lai par exemple, survivent en dépouillant leur sens primitif, fabliau ne se retrouverait nulle part, je crois, du xive au xviie siècle. Il n’a jamais été qu’un terme technique, destiné à représenter un genre littéraire. Le genre une fois mort, il est mort, lui aussi, et n’a plus revécu que dans les livres. Mot de poète, jadis ; aujourd’hui, mot de lettré.

Entre ces deux dates extrêmes — 1159-1340 — est-il possible de préciser ? Peut-on savoir à quelles époques plus spécialement on a rimé des fabliaux ? Les manuscrits, qui sont tous du xiiie ou des premières années du xive siècle, ne nous renseignent pas[1]. Les allusions historiques sont infiniment rares, comme il est naturel, dans ces petits contes, et le fabliau de la Planté est, avec Richeut le seul qu’il nous soit possible de dater exactement : il y est, en effet, question, comme d’un événement récent, de la prise de Saint-Jean-d’Acre en 1191, et le poète introduit dans son récit, comme un personnage alors vivant, le roi Henri de Champagne, mort en 1197. L’étude de la langue des fabliaux ne nous fournit que d’assez vagues approximations. Je ne crois pas qu’on puisse préciser plus que ne fait M. G. Paris : « la plupart sont de la fin du xiie et du commencement du xiiie siècle[2] siècle —. » Mais les noms de Philippe de Beaumanoir, d’Henri d’Andeli, de Rutebeuf, de Watriquet de Couvin nous prouvent que la vogue des fabliaux ne s’est pas un instant démentie pendant tout le cours du xiiie siècle.

En somme, les fabliaux se répartissent indistinctement sur toute cette période qu’on peut appeler l’âge des jongleurs. Aussitôt que la poésie du moyen âge cesse d’être exclusivement épique et sacrée, le genre apparaît. Il vit près de deux siècles, aussi longtemps et de la même vie que les différents genres narratifs ou lyriques, colportés par les jongleurs. Il meurt, avec tant d’autres genres jongleresques, à cette date critique de notre

  1. V., à l’appendice I, l’énumération de ces manuscrits, tous maintes fois décrits.
  2. Hist. de la litt. fr, au moyen âge, 2e édit., p. 114.