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jamais été chantée ? Ne possédons-nous pas jusqu’à des aubes chinoises[1] ?

Voici une devinette : « Une terre blanche, une semence noire, trois qui travaillent, deux qui ne font rien, et la poule qui boit. — C’est le papier, l’encre, la main qui écrit et la plume. » On la trouve dans de vieux recueils de joyeusetés du xve siècle, dans des collections d’indovinelli italiennes, en Sicile, en Angleterre, en Lithuanie, dans la Dordogne, dans le Forez, en Serbie.[2]

Ainsi, l’on constate que chaque peuple, chaque province, chaque village possède un trésor de traditions populaires, — une collection de proverbes, de devinettes, — des traditions météorologiques, médicales, — une faune, une flore poétiques, — des contes plaisants, — des contes d’animaux, — des légendes historiques ou fantastiques, — des chants populaires ; — et l’on remarque en même temps ce second fait qu’il n’existe qu’un très petit nombre de ces chansons, de ces légendes, de ces contes, de ces proverbes, qui appartiennent en propre à ce village, à cette province, à ce pays.

On constate, au contraire, que chacune de ces traditions possède une force merveilleuse de survivance dans le temps, de diffusion dans l’espace, si bien qu’on peut dire avec le plus extraordinaire collecteur de contes de notre temps, M. Reinhold Kœhler : « Le nombre des contes localisés en deux ou trois points est relativement petit, et serait encore bien moindre, si on les avait recueillis partout avec le même zèle… On peut dire que celui qui a lu la collection de Grimm ou celle d’Asbjœrnsen et Moe n’a plus rien à trouver d’essentiel et de nouveau dans les autres collections[3] ; » — ou bien, avec M. Luzel : « Nous retrouvons dans nos chaumières bretonnes des Aversions de presque toutes les fables connues en Europe[4] ; » — ou encore, avec M. James Darmesteter : « Tout ce qui est dans le folklore français se retrouve dans tous les autres ; il n’y a pas, à proprement parler, de folklore français, ou allemand, ou italien, mais

  1. Cf. Jeanroy, Origines de la poésie lyrique, p. 70.
  2. Cf. le Recueil de devinettes de E. Rolland, no 250. — Mélusine, t. I, col. 200 et col. 254.
  3. Reinhold Kœhler, Weimarische Beitrâge zur Literatur und Kunst, Weimar, 1879.
  4. Contes populaires de la Basse-Bretagne, préface.