Page:Bédier - Les Fabliaux, 2e édition, 1895.djvu/67

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un seul folklore européen ; et telle croyance ou telle légende qui paraît isolée dans un coin isolé d’une province de France est soudain rapportée par un voyageur dans des termes analogues ou identiques de chez quelque peuplade d’Afrique ou d’Australie[1] »

Tel est le fait dominant, et voici le problème : d’où viennent ces traditions populaires ? Comment se propagent-elles ? Il s’agit de déterminer, pour chacun de ces groupes de traditions, le lieu, la date de sa naissance, les lois de son développement interne, de ses migrations dans l’espace, dans la durée.

Des brigades de travailleurs se sont mises à l’œuvre, et les théories ont germé.


II


D’où viennent ces légendes populaires ? En myriades de molécules, il flotte, épars dans l’air, le pollen des contes. D’où est issue cette poussière féconde ? S’est-elle détachée de différentes souches ? ou de la même, unique et puissante ? En ce cas, sur quel sol, en quel temps s’est épanoui la fleur-mère ?

Si la question se posait pour les seuls fabliaux, elle n’offrirait qu’un intérêt médiocre et de simple curiosité. Quelle est l’origine de ces amusettes qui, depuis des siècles, réjouissent les esprits peu compliqués ? C’est un problème, divertissant peut-être, sans grande portée à coup sûr.

Mais il n’en va pas ainsi des contes merveilleux : ces humbles et étranges histoires de paysans, ces nursery tales, ces Mährchen des vieilles femmes de la Westphalie et de la Forêt-Noire, ce sont les matériaux de toute recherche mythologique. Il n’y a plus de place aujourd’hui pour un système qui considérerait uniquement le Panthéon classique d’un peuple, ses dieux et ses héros hiérarchiquement groupés dans l’Olympe ou la Walhalla officiels, sa cosmogonie expliquée, épurée par la spéculation consciente des poètes, des philosophes, des artistes. Plus de mythologie qui ne tienne compte des traditions populaires, dont les contes font partie intégrante : car on sait aujourd’hui que souvent les racines des contes et des fictions populaires

  1. Romania, t. X, p. 286.