Page:Bédier - Les Fabliaux, 2e édition, 1895.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’enfoncent profondément dans le passé, jusqu’aux germes des pensées et des croyances primitives. Delà, pour les mythologues, la nécessité d’éprouver la valeur des matériaux que, tous, ils mettent en œuvre. Quel emploi légitime en peuvent-ils faire ? Quelle en est la provenance ? la date ? Ce sont là questions nécessaires, et voilà comment c’est au sein des écoles mythologiques contemporaines qu’ont germé les principales théories de l’origine des contes.

On entend bien qu’à propos de nos humbles contes à rire, qui n’ont rien de mythique, nous n’aurions garde de retracer ici l’histoire des systèmes mythologiques de ce siècle. Nous n’aurions garde surtout — n’y étant pas tenu — de trop laisser percer nos préférences pour l’une ou pour l’autre école[1] : les fées malignes des contes, les vieilles fileuses méchantes, les follets entraînent volontiers les mortels trop curieux dans les brousses des forêts prestigieuses.

Mais il est nécessaire — et suffisant — de mettre en son relief, le plus brièvement, le plus nettement possible, l’idée de chaque système. Car on ne saurait résoudre la question de l’origine des fabliaux, si l’on ne sait aussi répondre au problème plus compréhensif de l’origine des contes en général, et d’ailleurs, si l’on séparait abusivement ces deux questions, il serait oiseux de rechercher la provenance des contes à rire ; réciproquement, un mythologue ne saurait se servir en toute confiance des matériaux du folklore, sans avoir élucidé d’abord la question, menue en apparence, des contes plaisants. — Ces assertions, quelque peu sibyllines, deviendront bientôt fort claires.

Les deux grands systèmes aujourd’hui en conflit — l’école de mythologie comparée ou école philologique et l’école anthropologique — traitent les contes populaires en vertu de principes opposés, selon des procédés contraires.

Quels sont ces principes et ces procédés ?

  1. Voir, pour une orientation générale à travers ces systèmes, la très belle préface de Wilhelm Mannhardt au t. II des Wald und Feldkulte, Berlin, 1877, p. I-XL, complétée et mise à jour, en 1886, par l’introduction de M. Charles Michel à la Mythologie de M. Andrew Lang, trad. fr. de M. Parmentier ; ou une jolie étude de M. G. Meyer dans ses Essays und Studien zur Sprachgeschichte und Volkskunde, Berlin, 1885.