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III


THÉORIE ARYENNE


Quand le grand Jacob Grimm appliqua aux légendes populaires allemandes son esprit génial et comme enfantin tout ensemble, — génial par ses dons de construction, enfantin par le naïf amusement qu’il prenait à ces contes, — une pensée patriotique le guidait surtout[1]. Il sentit qu’il surnageait, en ces fictions flottantes autour de lui, les débris des pensées, des rêves et des croyances des ancêtres. « Comme les sables bleus, verts et roses avec lesquels les enfants jouent dans l’île de Wight, elles sont le détritus de plusieurs couches de pensées et de langages ensevelies profondément dans le passé. » Les traits de mœurs plus spéciaux, les superstitions, les imaginations merveilleuses que renferment les contes du foyer, il les rapportait à l’enfance préhistorique de la patrie. Les contes lui apparurent comme le patrimoine commun des peuples aryens, qu’ils auraient emporté avec eux au cours de leurs migrations. Ces fictions, aujourd’hui incomprises, c’était le retentissement affaibli, l’écho à peine perceptible, le travestissement obscur des anciens mythes germaniques. Comment, à sa suite, « les Simrock et les J. W. Wolf crurent retrouver dans chaque conte, dans chaque légende romanesque ou hagiographique, une divinité nordique », c’est ce qu’on lira dans le remarquable exposé que Mannhardt a tracé du système de Grimm[2].

Bientôt les fondateurs de la mythologie comparée devaient transporter la méthode de Grimm sur le terrain plus vaste des sciences indo-germaniques. Hardiment, les Kuhn et les Max Millier comparèrent les mythes glorieux des Védas, des Eddas,

  1. Mes sources principales pour ce résumé de la théorie aryenne, sont : la grande édition des Kinder und Hausmàrchen des frères Grimm, 3 vol., 1856 ; Kuhn, die Herahkunft des Feuers und des Goettertvanks, Berlin, 1859 ; Michel Bréal, Mélanges de Mythologie et de Linguistique, Paris, 1878 ; Max Mûller, Nouvelles leçons sur la science du langage, trad. G. Harris et G. Perrot, 1867, 1868 ; Max Mûller, Essais sur la mythologie comparée, trad, G. Perrot, Paris, 1873 ; A. de Gubernatis, Zoological Mythology,2 vol., 1872.
  2. Mannhardt, op. cit., p. XIII-XIV.