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des poèmes homériques et hésiodiques avec les obscures fictions que colportent encore les paysans, et tentèrent de reconstituer ainsi une sorte de mythologie préhistorique et aryenne, d’où seraient issus au même titre le panthéon germanique et le monde divin des Hindous, des Grecs et des Romains.

On sait par quelle brillante théorie l’école de Kuhn, de Schwartz, de MM. Max Müller et Bréal, explique la genèse et la nature de ces mythes primitifs : comment, au temps de l’unité de la race aryenne et en une période transitoire de l’évolution de la langue que l’on appelle « l’âge mythopœique, » à la faveur d’une véritable « maladie du langage, » de simples affirmations sur les phénomènes naturels, sur le lever de l’aurore, sur le crépuscule, la nuit, l’orage, l’alternance des saisons, se seraient transformées en des affirmations sur des personnages imaginaires, mythiques : en sorte que nos ancêtres les Aryas, avant de se séparer pour former les groupes slave, germanique, grec, latin, celtique, iranien, indien, auraient développé une copieuse mythologie fondée sur une sorte de poésie de la Nature, et que les dieux et les héros seraient simplement des formes anthropomorphiques dés phénomènes naturels.

Les Aryas, en se séparant, auraient donc emporté avec eux, non pas leur langue seule, mais ces mythes communs. Ils vivent encore, déformés, au sein des races isolées, en lutte avec les idées supérieures — le christianisme et la science — qui, lentement, les tuent. Les contes populaires modernes en renferment encore les détritus, comme de la poussière d’astres. Ils sont comme le patois de la mythologie. On peut souvent, dans nos contes, en lavant l’uniforme badigeon des idées chrétiennes, retrouver, presque effacée, la primitive peinture païenne, et sous l’image actuelle de la Vierge Marie ou des saints, découvrir quelque vieille divinité germanique : les fées, les ogres, les mille lutins qui jouent ou se combattent dans nos contes merveilleux, sont les représentants d’anciens héros légendaires, qui, eux-mêmes, incarnaient primitivement les puissances de la Nature et leurs luttes.

Ainsi, par de graduelles altérations, les mythes primitifs se sont transformés en légendes, et les légendes en contes, Le « premier travail à entreprendre est donc de faire remonter