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ce soient là des choses familières aux Allemands de l’époque historique. Il faut donc que nous ayons affaire ici à des survivances dans des contes populaires, qui remontent à l’époque où les ancêtres des Germains ressemblaient aux Zoulous. » Ces sorciers, ces revenants, ces animaux qui parlent, ces ogres, ces fées, cette communion constante de l’homme avec une nature fantastique, ce n’est pas l’imagination des civilisés qui a créé cette absurde féerie : ce sont des restes de manières de penser et de croire abolies. Ici c’est un ancien totem, là un tabou, et pour expliquer ces merveilles, il faut parfois s’adresser aux Bassoutos, aux Hurons, aux Kamchadales. « Le but est d’analyser les contes en les ramenant aux conceptions élémentaires, psychologiques, mythologiques, religieuses, sur lesquelles ils reposent : et beaucoup de ces conceptions appartiennent à la sauvagerie. »


V


THÉORIE DES COÏNCIDENCES ACCIDENTELLE


Avant d’aller plus loin, il faut nous arrêter un instant, pour faire justice d’une opinion fausse, qu’on peut appeler la théorie de l’accident.


    accepté et naturel, et, dans le passé, apparaissait comme également rationnel et naturel aux sauvages sur lesquels nous avons quelques renseignements historiques. Notre théorie est donc que l’élément sauvage et absurde de la mythologie est, le plus souvent, un legs des ancêtres des races civilisées, qui jadis n’étaient pas dans un état intellectuel plus élevé que les Australiens, les Boschismans, les Peaux Rouges… L’élément absurde des mythes doit être expliqué le plus souvent comme « survivance » ; l’âge de l’esprit humain auquel cet élément absurde a survécu est un âge où n existaient pas encore nos idées les plus communes sur les limites du possible, où toutes choses étaient conçues de tout autre façon qu’aujourd’hui : et cet âge, c’est celui de la sauvagerie. Il est universellement admis que des survivances de cette nature rendent compte de nombreuses anomalies dans nos institutions, nos lois, notre vie sociale, voire dans nos vêtements et dans les menus usages de la vie. Si des restes isolés des anciens temps persistent ainsi, il est plus que probable que d’autres restes survivent aussi dans la mythologie, si l’on tient compte du pouvoir conservateur du sentiment religieux et de la tradition. Notre objet est donc de prouver que 1’ « élément stupide, sauvage et irrationnel » des mythes des peuples civilisés s’explique, soit comme une survivance do la période de sauvagerie, soit comme un emprunt d’un peuple cultivé à ses voisins sauvages, soit enfin comme une imitation d’anciennes données sauvages par des poètes postérieurs et réfléchis. »