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Chaque conte ou chaque type de contes aurait pu être inventé et réinventé à nouveau, un nombre indéfini de fois, en des temps et des lieux divers, et les ressemblances que Ton constate entre les contes de divers pays proviendraient de l’identité des procédés créateurs de l’esprit humain.

Cette théorie suppose qu’on laisse un certain vague mystique à l’idée de création populaire ; qu’on y voie je ne sais quelle force d’invention collective, anonyme, impersonnelle, différente de l’invention poétique lettrée, individuelle. Terra ultro fructificat. La légende se dégage du génie de nos paysans d’Auvergne ou de Bretagne aussi naturellement que la fumée s’échappe de leurs chaumières.

À vrai dire, il n’y a point là proprement une doctrine consciente d’elle-même ; nous n’avons point affaire à une école avec son chef, ses disciples, ses schismatiques, ses adversaires. C’est moins un système organisé qu’une première attitude de l’esprit en présence du problème. C’est une hypothèse qui se présente volontiers à l’esprit de tout apprenti folkloriste, au début des recherches, et ne résiste pas aux faits.

Certes, on peut admettre que le libre jeu de l’intelligence humaine reproduise, en des temps et des pays divers, la même idée, la même fantaisie très simple : on trouve dans l’art grec archaïque et chez les anciens Mexicains des poteries très analogues, dont la ressemblance s’explique par la similitude des matériaux, des outils, du degré de civilisation.

De même, on peut admettre qu’un proverbe, — c’est-à-dire une même image, une même métaphore, une même réflexion morale — ait pu se présenter à deux, trois, dix esprits indépendants les uns des autres ; on peut admettre la même création répétée pour une devinette, bien qu’il y ait ici plus de caprice individuel ; on peut et l’on doit admettre, pour les chansons populaires, que le même thème sentimental, très général, soit né de lui-même sur des terres très différentes.

Mais il n’est pas moins vrai qu’on reste frappé du très petit nombre de proverbes, de devinettes ou de types de chansons historiquement représentés, de leur caractère contingent, fantaisiste et nullement nécessaire, et du nombre considérable de formes où le même proverbe, le même type de chansons, la