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Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/162

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de la bonne foy des peuples ; et que s’ils apportoient quelque chose de nouveau dans le monde qui valût la peine d’être sçû, il auroit été mal-honnête à luy, de vouloir mépriser toutes les sciences, parmi lesquelles il s’en pourroit trouver une dont il auroit ignoré les fondemens. Il se mit donc en devoir de rechercher quelqu’un de ces nouveaux sçavans, afin de pouvoir les connoître par luy-même, et de conférer avec eux. à propos de quoy j’estime qu’il est bon de dire un mot de leur histoire, pour la satisfaction de ceux qui n’en ont pas encore ouy parler.

On prétend que le prémier fondateur de cette confrérie des rose-croix étoit un allemand né dés l’an 1378, de parens fort pauvres, mais gentils-hommes d’extraction. à cinq ans on le mit dans un monastére où il apprit le grec et le latin. Etant sorti du couvent à seize ans, il se joignit à quelques magiciens pour apprendre leur art, et demeura cinq ans avec eux : aprés quoy il se mit à voyager prémiérement en Turquie, puis en Arabie. Là il sçeut qu’il y avoit une petite ville nommée Damcar peu connuë dans le monde, et qui n’étoit habitée que par des philosophes, vivans d’une façon un peu extraordinaire, mais d’ailleurs trés-versez dans la connoissance de la nature. Son histoire, ou plûtôt son roman écrit par Bringern, dit qu’il y fut reçeu par les habitans du lieu avec beaucoup de civilité ; qu’on lui rendit toutes sortes de bons offices ; et qu’on luy fit un accueil aussi favorable que celuy que les brachmanes avoient fait au fameux Apollonius De Tyane. On ajoûte que nôtre allemand y fut salué d’abord par son nom, quoy qu’il ne l’eût encore déclaré à personne, qui est une circonstance copiée d’Apollonius ; et qu’on luy révéla beaucoup de choses qui s’étoient passées dans son monastére pendant le séjour d’onze années qu’il y avoit fait. Les habitans luy découvrirent qu’il y avoit long-têms qu’ils l’attendoient chez eux, comme celuy qui devoit être l’auteur d’une réformation générale dans l’univers.

Ils l’instruisirent ensuite sur diverses choses, et luy communiquérent la plûpart de leurs secrets. Aprés avoir demeuré trois ans parmi eux, il quitta leur païs pour venir en Barbarie, et s’arrêta dans la ville de Fez pour conférer avec les sages et les cabalistes, dont cette ville étoit fort ab