Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/280

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luy apprendre des choses qu’il avoit quittées depuis longtêms comme des exercices de jeunesse. Béeckman lui fit voir un livre qu’il avoit composé sous le titre de mathematico-physique . M Descartes eut assez de complaisance pour lui témoigner quelque estime de son ouvrage : et pour le combler de ses honnêtetez, il lui dit en le quittant qu’il s’estimeroit toujours heureux de pouvoir profiter de ses lumiéres, et qu’il feroit gloire de se dire son écolier et son serviteur .

Civilité françoise dont ce bon hollandois fut la duppe.

Car aprés une correspondance de plus de six mois, entretenuë par des lettres tres-fréquentes, puis interrompuë par la vanité et l’indiscrétion du Sieur Béeckman, pendant un an entier, celuy-cy jaloux de la réputation de M Descartes s’avisa de lui écrire aprés le retour du Pére Mersenne en France, et de lui mander que s’il vouloit veiller au bien de ses études il devoit retourner prés de luy à Dordrecht, et qu’il ne pouvoit nulle part profiter d’avantage que sous sa discipline. Il lui tint encore d’autres discours aussi frivoles, feignant de s’intéresser beaucoup à son avantage, et d’avoir pour lui toutes les tendresses dont un maître et un ami peutêtre capable pour un disciple bien-aimé. Ce langage fit croire à M Descartes que Béeckman n’avoit composé cette lettre que pour la montrer aux autres avant que de la lui envoyer, et pour répandre le bruit qu’il avoit souvent reçû de ses enseignemens. C’est ce qui le porta à luy répondre le Xvii d’Octobre 1630, par une remontrance écrite en stile de maître. Il feignit de lui demander le dénouëment de l’intrigue de sa lettre, témoignant qu’il ne le croioit pas déchû de sa raison jusqu’à se méconnoître à son égard. Il aima mieux soupçonner d’artifice que de stupidité un homme qui se vantoit au dehors de lui avoir appris quelque chose, lors que sa conscience lui dictoit le contraire au dedans.

Pour le guérir de sa foiblesse ou de sa malice, il voulut bien en considération de leur ancienne amitié lui faire connoître les choses qu’une personne peut apprendre à une autre. Il lui fit remarquer qu’il n’y a que ceux qui peuvent nous persuader par leurs raisons, ou du moins par leur autorité, qui méritent de passer pour des gens qui en