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INTRODUCTION.

cain et le sauvage du Kamtchatka : mais, en vérité, c’était pousser trop loin l’indulgence pour le premier, et se rendre coupable d’une grave injustice à l’égard du second ; car le sauvage des glaces du Nord a une poésie qui lui est propre, et le Breton n’en aurait pas.

Cette manière de voir n’était point nouvelle. Abailard traitait ses compatriotes de barbares ; il se plaignait d’être forcé de vivre au milieu d’eux, et se vantait de ne pas savoir leur langue, qui, disait-il, le faisait rougir[1]. Au reste, l’histoire de Bretagne n’offre pas seule ce phénomène ; il se rencontre dans celle des Gallois, des Irlandais et des montagnards de l’Écosse, qui ont été, à l’égard de l’Angleterre, dans les mêmes rapports nationaux que les Armoricains à l’égard de la France ; il doit se présenter dans l’histoire de tous les petits peuples qu’ont fini par s’incorporer les grandes nations qui les avoisinent.

Partout une espèce d’anathème a été lancée contre ces races malheureuses que leur fortune seule a trahies : partout, frappées d’ostracisme, elles ont été longtemps bannies du domaine de la science ; et même aujourd’hui qu’elles n’ont plus à gémir sous la tyrannie du glaive, le despotisme intellectuel ne les a pas encore délivrées de son joug sur tous les points de l’Europe.

Plus juste en France qu’à l’étranger, et moins préoccupée d’idées d’un autre temps ; plus éclairée, plus accueillante, et tout à fait dégagée des liens étroits d’un patriotisme exclusif, la critique moderne comprend mieux ses devoirs. Des hauteurs sereines où elle règne, elle jette un bienveillant et libre regard autour d’elle. Vainqueurs et vaincus réconciliés, grands et peuple, égaux à ses yeux, sont admis à sa cour. Comme elle a reçu avec orgueil les palmes lyriques du troubadour provençal et les lauriers épiques du trouvère français,

  1. Lingua mihi ignota et turpis. (Epist.)