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ARCHILOCHUS.

veut dire s’engraisser, à été cause de son illusion : il fallait se souvenir, qu’encore aujourd’hui, se nourrir et s’engraisser de quelque chose, signifie dans le figuré y prendre un plaisir extrême. Il ne faut point douter qu’Ovide n’ait eu égard à ce passage de Pindare, quand il a dit dans son poëme contre Ibis, vs. 521 :

Utque reperiori nocuit pugnacis iambi,
Sec sit in exitium lingua proterva tuum.

Nous verrons dans la remarque (H), que ceux qui disent qu’il en coûta la vie à Archilochus pour avoir médit [1], se trompent.

(G) Il étendit sa médisance jusqu’à sa propre personne. ] Ce poëte se plaisait tellement à la médisance, que, non content de déchirer son prochain, il disait aussi du mal de soi-même [2]. C’est de quoi Critias le blâme [3] : Vous ne saurions point sans lui, disait Critias, que sa mère Enipone était une esclave ; que la misère le contraignit de quitter l’île de Paros, pour passer en celle de Thasus ; qu’il s’y fit haïr ; qu’il médisait, et de ses amis, et de ses ennemis : qu’il était extrêmement adonné à la débauche des femmes, et fort insolent ; et, ce qui est pis que tout cela [4], qu’il avait jeté son bouclier. Le scoliaste d’Aristophane nous apprend que ce fut dans la guerre contre les Saïens, peuple de Thrace, qu’Archilochus, pour sauver sa vie, jeta ses armes et s’enfuit [5]. Aristophane avait employé deux vers de ce poëte, touchant cette aventure [6], et là-dessus son scoliaste nous donne cet éclaircissement. Plutarque rapporte les mêmes vers, et quelque chose de plus :

Ἀσπίδι μὲν Σαΐων τις ἀγάλλεται ἣν περὶ θάμνῳ
Ἔντὸς ἀμώμητον κάλλιπον οὐκ ἐθέλων.
.................... Ἄσπις ἐκείνη
Ἐῤῥέτω· ἐξαῦθις κτήσομαι οὐ κακίω. [7].

Nunc aliquis nostrâ se ex hostibus aspide jactet
Sub vepre quam reliqui invutus integram.
Illa quidem valeat, nunc ipse à clade superstes
Emam suo non deteriorem tempore.

Cependant notre fuyard se piquait plus d’être soldat que d’être poëte.

Εἰμὶ δ᾽ ἐγὼ θεράπων μὲν Ἐνυαλίοιο ἄνακτος·
Καὶ Μουσέων ἐρατὸν δῶρον ἐπιςάμενος [8].

Martis regis cultor sum :
Amabile musarum donum ego quoque didici.


Alcée rangeait de la même sorte les places chez lui : il donnait le premier rang aux armes ; et lorsqu’il décrit sa maison [9], il ne parle point de livres, mais de casques et de boucliers : tout y sent l’arsenal, et rien la bibliothéque. On sait néanmoins qu’il se tira d’affaire dans une bataille à l’aide de ses talons, et non par ses armes. Voyez la remarque (B) de son article.

(H) Apollon chassa du temple de Delphes le meurtrier d’Archilochus [10]. ] Celui qui tua Archilochus s’appelait Callondas Corax [11], et il était de l’île de Naxos. La prêtresse de Delphes le chassa du temple, parce qu’il avait mis à mort un homme consacré aux muses : Ἐκϐληθεὶς ὑπὸ τῆς Πυθίας, ὡς ἱερὸν ἄνδρα τῶν μουσῶν ἀνῃρηκὼς [12]. Il l’avait tué néanmoins à la guerre, et de bonne guerre, comme nous l’apprenons de Suidas beaucoup plus clairement que de Plutarque. Cela fait qu’on ne doit pas trop s’imaginer que Pline ait eu ici toute l’exactitude nécessaire, lorsqu’il a dit au nombre pluriel : Archilochi poëtæ interfectores Apollo arguit Delphis [13]. Solin, son copiste, ayant voulu faire le paraphraste, s’est mis hors d’état d’être excusé ; il a eu la hardiesse de spécifier que ce poëte avait été tué par des voleurs : Percussores Archilochi poëtæ Apollo prodidit, et latronum facinus deo coarguente detectum [14]. Eusèbe cite un auteur

  1. Lescalopier, in Ciceron., de Nat. Deor., lib. III, pag. 703. Boëssius, in Indice Comment. in Ibin.
  2. Voyez le passage de Plutarque, qui sera cité dans la remarque (M), citation (55).
  3. Apud Ælianum, Var. Hist, lib. X, cap. XIII.
  4. C’est Critias qui parle.
  5. Schol. Aristoph., in Comœd. de Pace. Voyez aussi Strabon, liv. XII, pag. 378.
  6. In Comœd. de Pace, circa finem.
  7. Plutarch., in Institut. Lacon., pag. 239.
  8. Athen., lib. XIV, cap. VI, pag. 627, C.
  9. Apud Athen., lib. XIV, cap. V, pag. id., A. B.
  10. Plut., de iis qui serò à Numine puniuntur, pag. 560 ; et fusè Suidas, in Ἀρκίλοκος.
  11. Idem, ibidem : vide etiam Plutarch., in Numa, pag. 62.
  12. Plutarch., de iis qui serò puniuntur, pag. 560.
  13. Plin., lib. VII, cap. XXIX.
  14. Solin., cap. I, pag. 11.