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PAULICIENS

l’autre du mal, comme on peut lire dans Plutarque, et dans plusieurs autres historiens profanes.

(E) On a tant de peine à répondre aux objections des manichéens sur l’origine du mal. ] J’ai préparé mes lecteurs[1] à voir ici trois observations que j’aurais mises dans l’article des manichéens, si je n’avais voulu éviter d’être trop long en cet endroit-là. Acquittons-nous de notre promesse, et ne frustrons pas l’attente de ceux qui auront envie de suivre notre renvoi. Je mettrai à part ci-dessous[2] la seconde et la troisième observation. Mais voici la première.

Les pères de l’église, qui ont si bien réfuté les marcionites, les manichéens, et en général tous ceux qui admettaient deux principes, n’ont guère bien répondu aux objections qui se rapportent à l’origine du mal. Ils auraient dû abandonner toutes les raisons à priori, comme des dehors de la place qui peuvent être insultés, et qu’on ne saurait garder. Il fallait se contenter des raisons à posteriori, et mettre toutes ses forces derrière ce retranchement. Le Vieux et le Nouveau Testament sont deux parties de révélation qui se confirment l’une l’autre : puis donc que ces hérétiques reconnaissaient la divinité du Nouveau, il n’était pas malaisé de leur prouver la divinité du Vieux ; après quoi il était facile de ruiner leurs objections, en montrant qu’elles combattaient l’expérience. Il n’y a, selon l’Écriture, qu’un bon principe ; et cependant le mal moral et le mal physique se sont introduits dans le genre humain : il n’est donc pas contre la nature du bon principe qu’il permette l’introduction du mal moral, et qu’il punisse le crime ; car il n’est pas plus évident que 4 et 4 sont 8, qu’il est évident que si une chose est arrivée, elle est possible. Ab actu ad potentiam valet consequentia, est un des plus clairs et des plus incontestables axiomes de toute la métaphysique [3]. Voilà un rempart imprenable, et cela suffit pour rendre victorieuse la cause des orthodoxes, encore que leurs raisons à priori pussent être réfutées. Mais le peuvent-elles être, me dira-t-on ? Oui, répondrai-je : la manière dont le mal s’est introduit sous l’empire d’un souverain être infiniment bon, infiniment saint, infiniment puissant, est non-seulement inexplicable, mais même incompréhensible ; et tout ce que l’on oppose aux raisons pourquoi cet être a permis le mal, est plus conforme aux lumières naturelles, et aux idées de l’ordre, que ne le sont pas ces raisons. Examinez bien ce passage de Lactance ; il contient une réponse à une objection d’Épicure[* 1]. Deus, inquit Epicurus aut vult tollere mala et non potest ; aut potest, et non vult ; aut neque vult, neque potest, aut et vult et potest. Si vult, et non potest, imbecillis est ; quòd in Deum non cadit. Si potest, et non vult, invidus ; quòd æquè alienum à Deo. Si neque vult neque potest, et invidus et imbecillis est ; ideòque neque Deus. Si vult et potest, quod solùm Deo convenit, undè ergò sunt mala ? aut cur illa non tollit ? Scio plerosque philosophorum, qui providentiam defendunt, hoc argumento perturbari solere, et invitos penè adigi, ut Deum nihil curare fateantur, quod maximè quærit Epicurus. Sed nos ratione perspectâ, formidolosum hoc argumentum facilè dissolvimus. Deus enim potest, quicquid velit ; et imbecillitas, vel invidia, in Deo nulla est : potest igitur mala tollere, sed non vult ; nec ideò tamen invidus est. Idcircò enim non tollit, quia et sapientiam (sicut docui) simul tribuit, et plus boni, ac jucunditatis in sapientiâ, quàm in malis molestiæ. Sapientia etiam facit, ut etiam Deum cognoscamus, et per eam cognitionem immortalitatem assequamur ; quod est summum bonum. Itaque nisi priùs malum agnoverimus, nec bonum poterimus agnoscere. Sed hoc non vidit Epicurus, nec alius quisquam ; si tollantur mala, tolli pariter sapientiam ; nec ulla in homine virtutis remanere vestigia ; cujus ratio sustinendâ et superandâ

  1. * Le père Merlin a réfuté Bayle. Voyez son Apologie de Lactance, dans les Mémoires de Trévoux, juin 1736, article 65.
  1. Dans l’article Manichéens, tom. X, pag. 200, citation (61).
  2. Dans les remarques (G) et (B).
  3. Voyez, tom. X, pag. 200, l’article Manichéens, remarque (D), citation (59).