Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T11.djvu/584

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tem in turbâ hominum deprehensa, adeò fuit oppressa, ut pueri etiam colliderentur genitalia. Erat ergò eunuchus [1]. Il fut si bien élevé, qu’il se rendit capable des beaux emplois ; et il fallait bien qu’il passât pour honnête homme, puisque Lysimachus lui confia le gouvernement de la forteresse où étaient tous ses trésors. Philétærus s’acquitta fidèlement de cette charge, jusques à ce qu’il se vit persécuté par les calomnies d’Arsinoë, femme de Lysimachus. Dès-lors il commença à se soustraire de l’obéissance de ce prince, et à prendre des mesures pour se maintenir dans l’indépendance qu’il usurpait. Les conjonctures lui furent très-favorables. Lysimachus, accablé de divisions domestiques, se vit contraint de faire mourir son fils Agathoclés. Cela ne l’empêcha point d’être opprimé par Séleucus Nicator : et enfin il fut tué par la trahison de Ptolomée Céraunus. Pendant ces troubles, Philétærus s’affermit dans la possession de Pergame ; il joua d’adresse, et amusa de paroles et de complimens le parti qui lui paraissait le plus redoutable, de sorte que pendant vingt ans il demeura maître et du château et de l’argent de Lysimachus. Son neveu Eumènes[2] fut son héritier, et agrandit sa domination en s’emparant de plusieurs endroits autour de Pergame. Il gagna une bataille auprès de Sardes, contre Antiochus fils de Séleucus, et mourut après vingt-deux ans de domination [3]. Attalus, son cousin, qui lui succéda, prit le nom de roi. Voyez l’article suivant. Les chronologues mettent à l’an 468 de Rome, le commencement de la domination de Philétærus. Il vécut quatre-vingts ans[4]. Quelques-uns disent que sa mère s’appelait Boa, et qu’elle était de Paphlagonie, courtisane de profession et joueuse d’instrumens[5]. Il naquit à Teïe sur le Pont-Euxin[6].

(C) La magnifique Bibliothéque. ] Commençons cette remarque par ces paroles de M. Loméier : Attalus et Eumenes, Pergami reges, nobilem bibliothecam conquisitis undiquè suprà ducenta millia exemplaribus, in hædinis pellibus, quæ ab hoc loco pergamenæ dictæ sunt, descriptis, construxisse feruntur[7]. Il cite Pline, au IIe. chapitre du XXXVe, livre : mais on n’y trouve que ceci, an priores cæperint Alexandriæ et Pergami reges qui bibliothecas magno certamine instituere non facilè dixerim. Cette citation de Pline n’est donc pas juste. Ce n’est pas que cet auteur, dans un autre endroit, ne nous apprenne que l’on trouva à Pergame l’art de préparer des peaux pour s’en servir à la place du papier. Mox æmulatione circa bibliothecas regum Ptolemæi et Eumenis, supprimente chartas Ptolemæo, idem Varro membranas Pergami tradidit repertas [8] Nous apprenons là que l’émulation du roi d’Égypte et du roi de Pergame, à qui dresserait une plus belle bibliothéque, fut cause que le roi d’Égypte fit interdire le transport du papier, ce qui donna lieu à l’invention du parchemin. Saint Jérôme doit être allégué en cet endroit : Chartam, dit-il[9], defuisse non puto, Ægypto ministrante commercia, et si alicubi Ptolemæus maria clausisset, tamen rex Attalus membranas à Pergamo miserat, ut penuria chartæ pellibus pensaretur. Undè et Pergamenarum nomen ad hanc usquè diem, tradente sibi invicem posteritate, servatum est. Quant au nombre de livres dont parle M. Loméier, il faut recourir à Plutarque[10], qui a dit que Marc Antoine fit présent à Cléopâtre de la bibliothéque de Pergame, où il y avait deux cent mille volumes. Le père Jacob, dans son Traité des Bibliothéques, à la page 28 de la Ire. partie, assure très-faussement que Strabon a dit que cette bibliothéque contenait deux cent quatre-vingt mille volumes. Le sieur le Gallois[11] dit encore plus faussement, que Pline les fait monter à un plus grand nombre. Lipse fait une difficulté indigne de lui sur les paroles de Plutarque. Strabon, dit-il[12], qui écrivait sous Ti-

  1. Strabo, lib. XIII, pag. 428.
  2. Fils d’Eumènes, frère de Philétærus.
  3. Tiré de Strabon, lib. XIII, pag. 458, 429.
  4. Lucianus, in Macrobiis.
  5. Athen., lib. XIII, pag. 577, B.
  6. Strabo, lib. XII, pag. 374.
  7. Lomeier., de Bibliothecis, cap. VI, p. 96.
  8. Plin., lib. XIII, cap. XI, pag. m. 78, 79.
  9. Hieronymus, epist. ad Chromat. Jovis et Euseb.
  10. Plutarchus, in Vitâ Marci Astonii.
  11. Gallois, Traité des Biblioth., pag. 27.
  12. Lipsius, Syntagm. de Bibloth., c. IV.