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PÉRICLÈS.

païs, et devisoyent de toutes ces choses entre eulx : comme s’il ne les eust point entendues, pensans qu’il eust ja perdu tout sentiment : mais au contraire, ayant encore l’entendement sain, il avoit tout bien noté : si se prit à leur dire, qu’il s’esmerveilloit comme ilz louoyent si haultement ce qui luy estoit commun avec plusieurs autres capitaines, et en quoy la fortune mesme avoit sa part, et cependant ils omettoyent à dire ce qui estoit en luy le plus beau et le plus grand : c’est que nul Athenien, pour occasion de luy, n’avoit onques porté robbe noire. » Voici la réflexion de Plutarque [1] : Si me semble que cela seul rendoit son surnom d’Olympien, c’est-à-dire divin ou celeste, lequel autrement estoit trop arrogant et trop superbe, non odieux ny envié, ains plustost bien seant et bien convenable pour avoir eu la nature si benigne et tant debonaire, et en si grande licence avoir conservé ses mains pures et nettes, ne plus ne moins que nous reputons les [2] dieux pour estre autheurs de tous biens, et cause de nuls maulx, dignes de gouverner et regir tout le monde : non pas comme disent les poëtes, qui mettent noz esprits en trouble et en confusion par leurs folles fictions, lesquelles se contredisent à elles mesmes, attendu qu’ils appellent le ciel, où les dieux habitent, sejour tres asseuré, et qui point ne tremble, et qui n’est point agité de vents, ny offusqué de nuées, ains est tousiours doulx et serein, et en tout temps également esclairé d’une lumiere pure et nette, comme estant telle habitation propre et convenable à la nature souverainement heureuse et immortelle : et puis ilz les descrivent eux mesmes pleins de dissensions d’inimitiez, de courroux et d’autres passions, qui ne conviennent pas seulement à hommes sages et de bon entendement. Tout ce que Plutarque nous dit là contre les poëtes est très-bon et très-solide : le reste est une beauté trompeuse, ce sont des fleurs empoisonnées, et qui couvrent un serpent, latet anguis in herbâ. On s’imaginera peut-être que je veux dire qu’il y a là-dessous quelques semences du faux dogme d’Épicure touchant la tranquillité des dieux, exempte de haine et de colère ; mais ce n’est point cela : ce n’est point le venin d’Épicure, c’est celui du manichéisme que Plutarque nous présente. Nous avons vu ailleurs [3] qu’il s’est déclaré hautement pour de dogme des deux principes. Il y revient ici par la réflexion sur la réponse de Périclès. Il ne veut point, comme Épicure, que Dieu jouisse d’un repos de fainéant : il lui attribue l’action et la providence ; mais ce n’est qu’une providence bienfaisante, distributrice de faveurs, et de bonheur. Ce n’est pas une providence qui s’irrite quelquefois, qui punit et qui châtie, qui accable de misères le genre humain. Il n’approuve pas que Périclès porte le surnom d’Olympien, c’est-à-dire de divin et de céleste, parce que son éloquence éclairait, tonnait, lançait la foudre ; mais parce que son crédit ne fut jamais employé à la vengeance, et ne fit jamais porter le deuil à quelque famille. Le goût de Plutarque n’était pas le plus commun : une infinité de gens reconnaissent mieux la divinité de Jupiter dans la foudre et dans le tonnerre [4] que dans la distribution des biens : les cérémonies de religion dans le paganisme se rapportaient beaucoup plus à détourner l’infortune qu’on craignait d’en haut qu’à s’attirer les faveurs que l’on en pouvait attendre. Il régnait néanmoins une idée générale dans les esprits, qu’aucune chose n’était plus conforme à la nature divine que de faire du bien. L’épithète de très-bon précédait celle de très-grand, lors-

  1. Là même, pag. 622, 633.
  2. Καθάπερ τὸ τῶν θεῶν γένος ἀξιοῦμεν, αἴτιον μὲν ἀγαθῶν, ἀναίτιον δὲ κακῶν πεϕυκὸς, ἄρχειν καὶ βασιλεύειν τῶν ὄντων, οὐχ ὥσπερ οἱ ποιηταὶ. Sicut dignam arbitramur deorum gentem, quæ per se est propitia, et nullius autor mali, ut rebus præsit et moderetur, non ut poëtæ. Plut., in Pericle, pag. 173, C.
  3. Dans l’article Manichéens, tom. X, pag. 191, remarque (C). Voyez aussi remarque (G) de l’article Pauliciens, dans ce volume, pag. 491.
  4. Cœlo tonantem credidimus Jovem regnare.
    Horat., od. V, lib. III.
    ............Namque Diespiter
    Igni corusco nubila dividens, etc.
    Idem, od. XXXIV, lib. I.