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ACINDYNUS.

que saint Augustin rapporte que le cas arriva sous l’empereur Constantin [1], lorsque Acindynus, etc.

(B) Beaucoup plus à l’approuver qu’à la condamner. ] Cela paraît manifestement par ces paroles : Non ità est existimandum ne hoc etiam femina, viro permittente, facere posse videatur ; quod omnium sensus excludit. Quamquàm nonnullæ causæ possint existere ubi et uxor mariti consensu pro ipso marito hoc facere debere videatur..… Nihil hic in alteram partem disputo… Sed tamen narrato hoc facto (savoir celui de la femme dont le mari était en prison sous Acindynus) non ità respuit hoc sensus humanus, quod in allâ muliere viro jubente commissum est, quemadmodùm anteà, cùm sine ullo exemplo res ipsa poneretur, horruimus[2] Je ne sais donc sur quoi se fonde le théologien protestant que j’ai cité dans la remarque précédente, lorsqu’il assure que saint Augustin penche plus vers la condamnation que vers la justification de cette femme[* 1]. Quo facto Acindyni explicato, liberum unicuique permittit Augustinus æstimare quod velit, quamvis in eam partem propensior videatur, quòd id fieri non liceat[3].

(C) Ce qui est assez surprenant. ] Un grand théologien comme lui ne devait-il pas savoir que notre vie, qui n’est qu’un bien temporel et périssable, ne nous doit pas être assez précieuse pour nous sembler digne d’être rachetée par la désobéissance à la loi de Dieu ? Car, comme cette désobéissance est un péché qui nous soumet à une peine éternelle et à un mal moral qui blesse un être infini, il n’est pas moins contre la prudence que contre la droite raison d’aimer mieux commettre un péché que perdre sa vie. Je ne dis rien des abîmes de corruption que l’on ouvre de toutes parts sous nos pieds, en nous disant qu’une chose qui serait un crime si on la faisait sans avoir dessein de sauver sa vie, devient innocente lorsqu’on la fait pour sauver sa vie. Le prisonnier d’Acindynus aurait fait un honteux maquerellage, et consenti à un adultère proprement dit, s’il avait permis à sa femme de coucher avec ce galant, afin de gagner une livre d’or ; mais parce qu’il n’y consent qu’afin de sauver sa vie, ce n’est plus un consentement à l’adultère, c’est une chose permise. Qui ne voit que si une telle morale avait lieu, il n’y aurait point de précepte dans le Décalogue dont la crainte de la mort ne nous dispensât ? Où sont les exceptions en faveur de l’adultère ? Si une femme n’est pas obligée d’obéir au commandement de ne point souiller son corps quand cela peut épargner à son mari le dernier supplice, elle ne sera point obligée à y obéir quand il s’agira de sauver sa propre vie ; car Dieu n’a pas exigé de nous que nous aimassions personne plus que nous-même. On pourra donc impunément transgresser la loi de la chasteté afin d’éviter la mort. Pourquoi une semblable raison ne rendra-t-elle pas permis l’homicide, le vol, le faux témoignage, l’abjuration de sa religion, etc. ? Les plus grands hommes sont sujets à donner à gauche et à s’égarer dans les chemins les plus unis. Est-il bien difficile de connaître que saint Paul n’a point prétendu qu’un mari pût disposer du corps de sa femme en faveur du tiers et du quart ; saint Paul, dis-je, lorsqu’il a dit que la femme n’a point la puissance de son corps et que cette puissance est à son mari ? Cependant vous voyez que saint Augustin s’embarrasse dans ces paroles de l’apôtre, et qu’il fait grand fond sur la distinction marito jubente potestatem non abnuens maritalem. Nous verrons ailleurs[4], qu’il s’est servi de cette doctrine de saint Paul pour justifier Abraham et Sara touchant le concubinage d’Agar. Écoutons un théologien qui, pour avoir vécu plusieurs siècles après ce père, ne laisse pas d’être meilleur moraliste sur ce point. Quâ in re (savoir l’aventure de la femme dont le mari était prisonnier d’Acindynus) mirum est talem ac tantum virum potuisse dubitare, cùm ex sacrâ scrip-

  1. * Joly ne conteste pas les textes cités par Bayle, mas il prend la défense de saint Augustin, qui opine seulement par comparaison, et dit que, hors l’exemple qu’il allègue, ce crime fait horreur, et que dans cet exemple, il ne révolte pas tant. L.-J. Leclerc défend aussi saint Augustin.
  1. Il y a Constantius dans l’Ouvrage de saint Augustin que j’ai cité.
  2. August. de Sermone Domini in Monte, lib. I, cap. XVI.
  3. Riveti Oper. tom. I, pag. 281.
  4. Dans la remarque (I) de l’article Sara.