Page:Becq de Fouquières - L’Art de la mise en scène, 1884.djvu/138

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avidement et qui nous arrachent des applaudissements et des cris. Or ce qu'il faut bien comprendre, c'est que les sensations que nous font éprouver les œuvres classiques sont tout aussi réelles, mais qu'elles sont d'un autre ordre, et d'un ordre supérieur. C'est donc précisément leur réalité qu'il faut mettre en évidence, car c'est par leur réalité que ces jouissances artistiques ont du prix pour les hommes, les attirent et les sollicitent avec une force qu'elles n'auraient pas si elles n'avaient à leur offrir qu'un semblant de plaisir idéal et platonique. Or, à l'égard de cette réalité, il n'y a pas de doute à avoir.

Quand commence une représentation tragique les spectateurs sont d'abord simplement attentifs, les uns parce qu'ils se disposent à un plaisir ineffable qu'ils connaissent, les autres par l'intuition qu'ils ont de ce plaisir, un certain nombre enfin par respect, par convenance ou même seulement par imitation. La plupart n'entrent que très peu dans les raisons longuement déduites de l'exposition et ne s'attachent que médiocrement aux préliminaires de l'action. Mais peu à peu l'intérêt s'accroît, à mesure que la passion se dégage et que sous le personnage historique ou légendaire apparaît le type humain créé et mis en scène par le poète, c'est-à-dire à mesure que l'art se manifeste et que le génie du poète, s'essayant à un jeu divin, infuse dans les fantômes qu'il évoque à nos yeux la vie et toutes les passions qui en font le charme ou l'horreur. Alors, pour peu que la décoration soit décente, que le jeu et la déclamation des acteurs s'accordent avec le texte poétique,