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COMMENTAIRE HISTORIQUE

pas achevé la Franciade « faulte de noz Roys qui n’ont continué ceste faveur nourriciere des grands esprits », et, à l’appui de son dire, il cite un quatrain où il n’est question que de la faveur de Charles IX. Or après la mort de Charles IX, Ronsard ne connut que le règne de Henri III ; le pluriel « noz Roys » semble donc étrange. Je soupçonne Binet de s’être fondé sur un autre texte, dont il ignorait la date et qu’il aura par suite mal interprété : je veux parler de ce passage de la Complainte à la Royne mere publiée en 1563 :

J’avois l’esprit gaillard et le cœur genereux
Pour faire un si grand œuvre en toute hardiesse,
Mais au besoin les Roys m’ont failly de promesse :
Ils ont tranché mon cours au milieu de mes vers :
Au milieu des rochers, des forests, des desers
Ils eut fait arrester, par faute d’equipage,
Francus, qui leur donnoit Ilion en partage.
(Bl. III, 377.)

Or ces vers font allusion à Henri II, à François II, à Catherine de Médicis, régente jusqu’en 1563, et au premier projet de la Franciade, qui était en alexandrins ; ils ne font pas du tout allusion au deuxième projet, qui, encouragé par Charles IX, aboutit aux quatre livres en décasyllabes publiés en 1572. Marty-Lav. a commis une erreur analogue en renvoyant à ces vers de 1563 pour expliquer l’interruption du poème de la Franciade tel qu’il nous est parvenu (III, 538).

Sur ces deux projets d’épopée et leurs dates respectives, v. ci-dessus, pp. 143 et 158, aux mots « durant son regne » et « que j’ay veus ».

P 41, l. 49. — piece entiere. Cf. Dorat, dans le Tombeau de Ronsard (Bl. VIII, 237) :

Franciadem si non perfecit, tam bene cœpit
Aeneidi ut certet, certet et Iliadi.

P. 42, l. 3. — infiniment. À ce sujet nous avons le témoignage de Ronsard lui-même, qui a écrit dès la fin de 1563 que les poètes huguenots ses adversaires (il s’agit de Fl. Chrestien et de J. Grevin) avaient le cœur rongé d’envie « de le voir estimé des peuples estrangers, et de ceux de sa nation ». (Epistre au lecteur, publiée en tête des Nouvelles Poësies, vers le 1er  novembre 1563 ; cf. Bl., VII, 149.)

En ce qui concerne particulièrement l’estime des Italiens, les témoignages sont nombreux. Outre ceux de J.-C. Scaliger, de P. Victor, de Bargœus et de Speroni que Binet invoque, rappelons entre autres deux odes de Barth. del Bene, auxquelles Ronsard a répondu (Bl., II, 380 ; IV, 356 à 360), un dialogue où le Tasse a comparé Ronsard au poète Annibal Caro (Marty-Lav., Notice sur Ronsard, p. lxxvii), l’anecdote rapportée par Brantôme d’un grand seigneur vénitien prisant Ronsard deux fois plus que Pétrarque (Gandar, thèse fr., p. 123 ; Blanchemain, Œuvres de Ronsard, VIII, 38), et quatre sonnets de Grigioni, Zampini, Malespina et Ruggieri qui figurent dans son Tombeau (Bl. VIII, 282-84)

P. 42, l. 4. — J.-C Scaliger. Philosophe, humaniste et médecin italien, né en 1484, probablement à Padoue, mort en octobre 1558 à Agen, où il avait été amené en 1525 par l’évêque Antonio della Rovere. Le plus