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DE PIERRE DE RONSARD

desquels[1] il s’est fié à moy *, il me dit, quant aux Satyres, que l’on n’en verroit jamais que ce qu’on en avoit veu, nostre siecle n’estant digne[2] ny capable de correction[3] *.

Quant au jugement de ses œuvres[4], il le laissoit librement à un chacun, et deferoit à celuy des doctes, mais toutefois n’approuvoit le jugement d’aucuns, qui parlans de sa Franciade, avoient opinion qu’elle ne respondoit à ses autres œuvres. Car personne, disoit-il, ne sçauroit juger ainsi, qu’il n’accuse son ignorance[5].

  1. B suivant les memoires et advis, et desquels | C suyvant les memoires et advis desquels
  2. C n’estant ny digne,
  3. BC transposent tout ce passage depuis Les Satyres..., et l’insèrent avant l’alinéa Il avoit envie... (V. ci-après, p. 47.)
  4. ABC pas d’alinéa.
  5. BC Quant au jugement de ses ouvrages, il le laissoit librement à un chacun, et deferoit à celuy des doctes, et les exposoit [C des doctes, les exposant] en public à la façon d’Apelle, afin d’entendre le jugement et l’arrest d’un chacun, qu’aussi volontiers il recevoit comme il pensoit estre candidement prononcé : n’estant pas vice de s’amender, ains extreme malice de persister en son peché. Raison [C peché : raison] pour laquelle, tantost par un meilleur advis de soy-mesme, tantost par le conseil de ses plus doctes amis, il a changé, abregé, alongé beaucoup de lieux, et principalement de sa divine Franciade, et en [C et mesmes en] ceste derniere main *, voulant tousjours tirer au but de perfection qu’on doit [C qui se doit] rechercher en la Poësie, pour acquerir de l’honneur *, et non la mediocrité qui y est [C qui est] extreme vice *.

    Aussitôt après cette phrase C ajoute J’entends mediocrité humble et abjecte, et non celle que le judicieux Horace estime tant, qui se prent pour un stile moien et temperé, ny trop eslevé ny trop bas, conforme à son suject * qui est la perfection mesme, non encor’ concedée des Dieux aux hommes *. Il s’est toutefois trouvé des Zoïles qui ont bien osé attaquer sa Franciade, dont la seule imperfection est de ne l’avoir peu achever, pour le desir qu’il nous en a laissé par un si parfaict commencement : Et voicy ce que l’un d’eux en escrivit :

    Dum juvenis Ronsardus ovans praeclara canebat,
    Concepta rapuit compila Franciade :
    Parturiit, Centaurus adest, vel inepta Chimera (sic).
    Qualiacumque ea sint, cauda caputve latet.

    Il ne s’esmeut pour cela beaucoup, mais respondit en ceste sorte :

    Un lit ce livre pour apprendre.
    L’autre le lit comme envieux,
    Il est bien aisé de reprendre
    Mais malaisé de faire mieux *.

    Et s’il ne l’a pas achevée ce n’a pas esté faulte de suject, mais faulte de noz Roys qui n’ont continué ceste genereuse faveur nourriciere des grands esprits. Il le tesmoigne en ces vers :

    Si le Roy Charles eut vescu
    J’eusse achevé ce long ouvrage.
    Si tost que la mort l’eust vaincu,
    Sa mort me vainquit le courage *.

    Mais par cet echantillon on peut prevoir quelle devoit estre la piece entiere *. Les beaux esprits s’exerceront à y cercher [1604-1623 chercher] des sens allegoriques, et laisseray cela à ceux qui ont plus de loisir. Je ne celeray point pourtant que par la complainte d’un amy de Francus, mort, et par ses obseques, il m’a dit avoir entendu un Prince qui estoit fort necessaire pour l’estat pres du roy Char-