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DISCOURS DE LA VIE

Soit ce nom vray ou faux[1] *.

Ainsi que le bruict couroit des Amours de Cassandre[2] et de quatre livres d’Odes *, que ja Ronsard promettoit à la façon d’Horace et à celle[3] de Pindare, comme ordinairement[4] les | bons esprits sont [13] jaloux les uns des autres, Du Bellay[5], qui avoit sur le mesme sujet d’amour chanté son Olive *, fit le fin, et sans mot dire[6], pensant prevenir la renommée de Ronsard, fit imprimer son Recueil de Poësie[7] * : ce qui engendra en Ronsard, si non une envie, à tout le moins un mescontentement[8] contre du Bellay, qui ne dura long temps : car[9] comme les esprits ambitieux de gloire facilement se courrouçent[10], aussi promptement se reünissent-ils, les Muses ne pouvant estre seules, ains vivans toujours en compaignie[11] : encor que du Bellay de son costé eust opinion d’avoir esté picqué par luy, quand allant voir Ronsard et Baïf il trouva sur leur table un de ses livres que Baïf avoit apostillé en la marge, remarquant quelques vers et hemistiches, comme pris de Ronsard, pensant que ç’eust esté luy

  1. B à cognoistre par cette devise qu’il print alors, ΩΣ ΙΔΟΝ ΩΣ ΕΜΑΝΗΝ : et par un lieu en ses œuvres, où il dit :

    Soit le nom faux ou vray.

    | C d’Europe. Depuis Ronsard s’estant enamouré d’une belle fille Blesienne qui avoit nom Cassandre, le vingt uniesme jour d’Avril * en un voyage qu’il fit à Blois où estoit la Cour, ayant lors attaint l’âge de vingt ans resolut de la chanter, tant pour la beauté du suject que du nom, dont il fut épris * aussi tost qu’il l’eut veuë, ainsi que par un instinct divinement inspiré : ce qu’il semble assez vouloir donner à cognoistre par ceste devise qu’il print alors ΩΣ ΙΔΟΝ ΩΣ ΕΜΑΝΗΝ | 1630 ut vidi ut insanii ]. Aussi par ceste Cassandre Troyenne on dit qu’il representa mistiquement l’envie qu’il avoit de chanter l’origine de nos Rois issus des Troyens : suject dont il estoit deslors amoureux *.

  2. A des amours de Cassandre
  3. B et de celle
  4. B Pindare : comme ordinairement | C à la façon de Pindare et d’Horace, comme le plus souvent
  5. AC autres. Du Bellay
  6. B son Olive, apres luy sans mot dire | AB pas de virgule après dire
  7. A recueil de Poësie
  8. B à tout le moins une petite jalousie
  9. A long temps, car
  10. C Du Bellay, qui avoit sur le mesme suject d’Amour chanté son Olive, apres luy voulut s’essayer aux Odes sur l’invention et crayon de celles de Ronsard, qu’il trouva moyen de tirer et de voir sans son sceu. Il (on lit sceu, il) en composa quelques unes, lesquelles avec quelques Sonets sans mot dire, pensant prevenir la renommée de Ronsard, il mit en lumiere sous le nom de Recueil de Poësie, qui engendra en Ronsard sinon une envie, à tout le moins une raisonnable jalousie contre du Bellay, jusques à intenter action contre luy pour le recouvrement de ses papiers, lesquels ayant retiré par droit, non seulement ils quitterent leur querelle, mais (on lit querelle. Mais) Ronsard ayant incité du Bellay à continuer ses Odes, redoublerent leur amitié, et jugerent que telles petites ambitions sont les plus douces et ordinaires pestes des cœurs genereux : et que comme les esprits jaloux de gloire facilement se courroucent
  11. C ne pouvans demeurer seules, ains vivans tousjours de compagnie.