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INTRODUCTION

qu’il cherche, afin de donner du relief à sa prose et c’est surtout au poète lui-même qu’il les emprunte, pour être plus sûr de leur qualité. Une préoccupation analogue lui a fait rehausser ses personnages : il insiste sur les brillantes alliances de la famille Ronsart, d’après un généalogiste qui semble peu digne de foi, sur la noblesse de Carnavalet, de Du Bellay, de Saint-Gelais, d’Hélène de Surgères, même de Jacques Desguez, le modeste aumônier du prieuré de Saint-Cosme[1] ; il grandit aussi Dorat, dont il fait un prophète, et A. de Baïf, qu’il présente comme l’inventeur des vers français mesurés à l’antique[2]. Et c’est encore en moraliste et en littérateur, non en historien, que Binet commence et termine sa Vie de Ronsard ; l’exorde sentencieux et fleuri qu’il adresse à son fils, la péroraison solennelle où il apostrophe l’illustre mort comme son père adoptif, sont très caractéristiques de sa manière, qui est d’ailleurs celle du temps[3].

Tels furent les principaux mobiles auxquels obéit Binet en remaniant son texte pour une troisième édition, au lieu de critiquer les témoignages, au lieu d’établir une bonne chronologie des pièces qu’il citait ou dont il s’inspirait furtivement. Mais il en est d’autres moins excusables encore, que va nous révéler l’étude de ses documents oraux.


B. Documents oraux. — Il est à peu près certain que Binet a recueilli de la bouche même de Dorat, qu’il fréquentait familièrement et qui mourut seulement en novembre 1588, quelques renseignements sur ses plus anciennes relations avec Ronsard, d’abord au domicile de Lazare de Baïf, ensuite au collège de Coqueret. Il est probable aussi qu’Antoine de Baïf, mort seulement en 1589, fut appelé à confirmer, ou à rectifier, ou à compléter les souvenirs de son vieux professeur. De qui Binet aurait-il pu tenir, sinon d’eux ou de l’un d’eux, ce qu’il avance dans ses deux premières rédactions sur la beauté physique et la conversation attrayante de Ronsard jeune[4], sur la part qu’il prenait aux jeux du dauphin Henri,

  1. Voir ci après, pp. 3, lignes 25 et suiv. ; 11, l. 27 ; 15, l. 23 ; 17, l. 35 ; 26, l. 28 ; 34, l. 25 ; et le Commentaire, p. 65.
  2. Ibid., pp. 11, l. 38, et 12, l. 43. L’addition relative à Baïf lui fut peut-être suggérée par la fin d’une ode de Baïf qui sert d’épilogue à ses Poëmes.
  3. La responsabilité en revient partiellement à Tacite, auteur de la Vie d’Agricola, dont Binet a imité l’exorde et la péroraison, comme il s’est inspiré ailleurs de la Vie de Virgile de Donat.

    Mlle Evers attribue cette addition de l’exorde à une cause toute différente. Binet, dit-elle, avait senti que l’astre de Ronsard pâlissait, que la nouvelle génération littéraire, tout en honorant la mémoire de Ronsard, ne le considérait plus que comme le plus fameux représentant d’un art suranné. « Le long préambule de la 3e édition est comme une excuse ou une justification d’appeler l’attention du public une fois de plus sur une histoire qui avait presque cessé d’avoir une signification » (Op. cit., Introd., p. 25.) C’est prêter à Binet trop de clairvoyance, étant donné surtout qu’il ne vivait pas à la Cour, mais confiné dans sa fonction de magistrat provincial, et que Malherbe en 1597 ne s’était pas encore révélé comme un réformateur de la poétique ronsardienne. Pour moi, si Binet s’excuse ou se justifie de rééditer la Vie de Ronsard, c’est simplement parce qu’il imite Tacite, qui en avait fait autant au début du panégyrique de son beau-père.

  4. Cf. Du Perron, Or. fun. (texte princeps) : « Car j’ay ouy raconter une infi-