Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

recourant à la géométrie, cherchait seulement à donner un support à l’intuition algébrique pure, à fixer le raisonnement déductif, à soulager l’entendement, qui, théoriquement, pourrait se passer de la collaboration de l’imagination et des sens, mais qui ne doit négliger aucun des secours dont il dispose[1]. Ainsi, pensait-il, l’algébriste doit se servir d’images, mais pour que celles-ci remplissent convenablement leur missions, il importe qu’elles soient aussi réduites, aussi simples que possible[2].

Or, précisément, Descartes était en mesure de proposer un mode de figuration de quantités algébriques qui répondait bien à ces desiderata et d’où les considérations géométriques se trouvaient presque complètement éliminées.

Descartes part de cette remarque que le résultat de tout calcul effectué sur des quantités représentées par des grandeurs rectilignes peut être lui-même figuré par une grandeur rectiligne (ligne simple, disent les Cartésiens). C’est là le fait capital dont la constatation a permis de débarrasser le calcul des grandeurs des entraves que lui avaient imposées les Grecs. Dans la géométrie grecque, en effet, un produit de grandeurs d’une certaine espèce, se présentait le plus souvent comme une grandeur d’une autre espèce, circonstance qui contribuait plus que toute autre à limiter le champ d’application du calcul géométrique. Du point de vue de Descartes, au contraire, le produit est, comme chacun des facteurs, un segment

  1. Sollus intellectus equidem percipiendæ veritatis est capax : qui tamen juvandus est ab imaginatione, sensu et memoria, ne quid forte quod in nostra industria positum est omittamus (Regulæ ad directionem ingenii, XII).
  2. Compendiosæ figuræ quæ modo sufficiant ad cavendum lapsum ; quo breviores, eo commodiores existunt (Regulæ, XII).