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conduit à établir cette sorte de proportion que nous indiquions tout à l’heure : « la synthèse (ou la combinatoire) est à l’analyse ce que l’algèbre est au calcul de l’infini » ? On s’explique d’autant moins cette manière de voir qu’un bon nombre d’assertions de Leibniz paraissent la contredire. Il lui arrive d’appeler l’algèbre élémentaire une « synthèse »[1] ou de déclarer que les fondements de l’algèbre se trouvent dans la combinatoire[2]. Un jour il nous déclare que la méthode des anciens était la synthèse et que l’on n’a pas réussi à changer cette méthode en analyse[3], et, ce jour-là, il prend manifestement « analyse » dans le sens pur et simple de « méthode d’invention » comme il le fait quand il écrit à Tschirnhaus[4]. « Il s’en faut beaucoup que [Malebranche] ait pénétré bien avant dans l’analyse et généralement dans l’art d’inventer ». Mais ailleurs c’est la combinatoire qui devient le véritable art d’inventer. Ainsi[5] la pensée de Leibniz paraît avoir oscillé entre des conceptions différentes[6].

Pourtant, entre tous ses contemporains, c’est Leibniz qui a vu juste lorsqu’il a reconnu que sa méthode mathématique présentait tous les caractères d’une synthèse.

  1. Opuscules et fragments inédits de Leibniz, éd. Couturat, p. 558 : Algebra qua scilicet incognitum pro cognito sumimus, est synthesis quædam…
  2. Ibid., p. 560 : Imo ipsa fundamenta Algebræ per Combinatoriam sunt constituta.
  3. Projet d’un art d’inventer ; Ibid., p. 181.
  4. Briefwechsel mit Mathematikern, éd. Gerhahrd, t. I, 1899, p. 465. Cf. Brunschvicg, loc. cit., p. 132.
  5. On sait que l’on relève des oscillations semblables dans les appréciations émises par Leibniz sur les rapports de la logique et des mathématiques.
  6. Cf. L. Couturat, La logique de Leibniz, 1901, p. 295.