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Cette méthode est, en effet, un calcul, donc une combinaison de signes : elle consiste à partir d’éléments simples pour les assembler et en former des composés de plus en plus compliqués[1]. Mais il en était exactement de même de l’algèbre cartésienne, et si Descartes avait fait usage du mot « synthèse » dans le sens que lui a donné Leibniz, nul doute qu’il n’eût reconnu lui-même le caractère synthétique de sa méthode. Descartes eût fait, il est vrai, cette restriction que la synthèse doit toujours être précédée d’une analyse. Avant de combiner les éléments ou « idées » simples, il faut, comme nous l’avons vu, commencer par les dégager[2]. Mais, cette opération préliminaire une fois accomplie — et Descartes la croyait terminée pour l’algèbre — la science se réduira à un travail de combinaison mécanique, elle deviendra purement synthétique[3].

Ainsi il nous apparaît que l’opposition établie par Leibniz entre son œuvre et celle de Descartes réside en partie dans les mots. Ces deux œuvres, en réalité pro-

  1. Methodus vero synthesis est cum a simplicioribus notionibus progredimur ad compositas. Cf. L. Couturat, loc. cit., p. 179.
  2. Cf. infra, chapitre III.
  3. Observons que, s’il est difficile de déterminer la signification mathématique exacte des termes analyse et synthèse, ces mots sont encore plus ambigus lorsqu’ils sont pris dans leur sens métaphysique. Ainsi, dans ses Réponses aux secondes Objections faites contre les Méditations (Œuv., éd. Adam-Tannery, t. IX, p. 121-122), Descartes déclare que « l’analyse fait voir comment les effets dépendent des causes », tandis que « la synthèse examine les causes par leurs effets ». Mais il se reprend aussitôt pour dire de la synthèse : « bien que la preuve qu’elle contient soit souvent aussi des effets par les causes ». Leibniz, d’autre part, s’exprime aussi, dans un fragment qu’a publié L. Couturat (Opusc. et fragm. inéd. de Leibniz, p. 513) : « Methodus combinitoria est a causis ad effectus, seu a mediis ad finem, seu a re ad rei usum. Analytica ab effectu ad causam, a fine ad media ».