Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/140

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siècle attribuaient à la méthode algébrique : « L’analyse algébrique — dit-il — nous fait bientôt oublier l’objet principal [de nos recherches] pour nous occuper de combinaisons abstraites, et ce n’est qu’à la fin qu’elle nous y ramène. Mais, en s’abandonnant aux opérations de l’analyse, on est conduit par la généralité de cette méthode et l’inestimable avantage de transformer les raisonnements en procédés mécaniques à des résultats souvent inaccessibles à la synthèse [géométrique]. Telle est la fécondité de l’Analyse qu’il suffit de traduire dans cette langue universelle les vérités particulières pour voir sortir de leurs seules expressions une foule de vérités nouvelles et inattendues. Aucune langue n’est autant susceptible de l’élégance qui naît d’une longue suite d’expressions enchaînées les unes aux autres et découlant toutes d’une même idée fondamentale. Aussi les géomètres de ce siècle, convaincus de sa supériorité, se sont principalement appliqués à étendre son domaine et à reculer ses bornes ».

À cela près que Laplace appelle « analyse » ce que nous avons appelé « synthèse », on reconnaît, dans cette description du rôle de l’algèbre au xviiie siècle, les traits distinctifs que nous avons déjà relevés dans l’algèbre primitive : emploi de procédés mécaniques, institution d’une langue symbolique universelle, progrès indéfini réalisé en formant des expressions de plus en plus compliquées, qui se laissent déduire les unes des autres comme une chaîne que l’on déroule.

Les résultats obtenus par les algébristes du xviiie siècle étaient bien propres à justifier la robuste confiance qu’avaient ces savants en l’excellence de leur méthode. L’algèbre élémentaire — sortie de la période des tâtonnements — avait clairement reconnu l’étendue exacte de son pouvoir, et avait fixé ses procédés. Le cal-