Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/198

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sans que l’on saisisse les principes ; qui président à leur formation et à leur enchaînement.

De là résulte, d’une part, que le plan de l’édifice mathématique n’apparaît pas clairement. D’autre part les règles qui régissent le travail de recherches, les méthodes qui permettent à la science de se développer, semblent être de plus contingentes et incertaines. C’est ici le lieu de rappeler les réflexions, bien souvent citées, qu’inspirait à Galois, vers 1830[1], l’expérience de sa brève et brillante carrière mathématique : « De toutes les connaissances, on sait que l’analyse pure est la plus immatérielle, le plus éminemment logique, la seule qui n’emprunte rien aux manifestations des sens. Beaucoup en concluent qu’elle est, dans son ensemble, la plus méthodique et la mieux ordonnée. Mais c’est erreur… Tout cela étonnera fort les gens du monde, qui, en général, ont pris le mot Mathématique pour synonyme de régulier. Toutefois, là comme ailleurs, la science est l’œuvre de l’esprit humain, qui est plutôt destiné à étudier qu’à connaître, à chercher qu’à trouver la vérité. En effet on conçoit qu’un esprit qui aurait puissance pour percevoir d’un seul coup l’ensemble des vérités mathématiques… pourrait les déduire régulièrement et comme machinalement de quelques principes combinés par des méthodes uniformes… Mais il n’en est pas ainsi ; si la tache du savant est plus pénible, et partant plus belle, la marche de la science est moins régulière : la science progressé par une série de combinaisons où le hasard ne joue pas le moindre rôle ; sa vie est brute et ressemble à celle des minéraux qui croissent par juxtaposition. Cela s’applique non seulement à la

  1. Manuscrits et papiers inédits de Galois, publiés par J. Tannery, Bulletin des Sciences mathématiques, 1906, p. 259-60.