Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/230

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le quadrilatère, le chiliogone — complexes du point de vue de la déduction — sont simples au regard de l’intuition : il y aurait donc une infinité de natures simples. En fait, Descartes ne se décide pas, et de là vient la faiblesse de son système, faiblesse qui devait se manifester plus ouvertement dans l’œuvre de ses successeurs. Chez Malebranche, la théorie des natures simples devient un réalisme statique, une sorte[1] d’atomisme mathématique que les progrès même de la science devaient presque immédiatement ruiner. Le réalisme ainsi entendu est inséparable, en effet, des conceptions mécanistes qui caractérisaient la physique de Descartes. Or cette physique a été abandonnée dès le temps de Leibniz.

Pour des rayons que nous avons développées plus haut, cependant, nous ne croyons pas que les principes introduits par Leibniz et Newton aient transformé autant qu’on l’a dit[2] le cours de la pensée des mathématiciens ; nous ne saurions donc voir dans le mécanisme de Descartes la source principale des difficultés qui ont compromis sa doctrine mathématique. Pour nous, ces difficultés tiennent surtout à une autre cause : elles viennent de ce que Descartes, tout en proposant une philosophie de l’intuition, restait fermement attaché à la conception synthétiste de la science.

La conception synthétiste suppose la possibilité de poser a priori, comme autant d’éléments séparés et distinctement conçus, un ensemble de natures simples. Elles nous force également à admettre que ces natures

  1. Selon Malebranche, la science mathématique « traite des rapports des idées entre elles, les idées qu’elles étudient étant les nombres nombrants, avec leurs propriétés, et l’étendue intelligible, avec toutes les lignes et figures qu’on y peut découvrir ». Cf. Brunschvicg, les Étapes de la Philosophie Mathématique, p. 130 et suiv.
  2. Voir plus haut, chap. II, § III.